1940-De l'abîme a l'espérance
tirent des charrettes. Sur des entassements de matelas, de hardes, il y a des femmes et des enfants !
Ils ont fui l’Est, le Nord, les Ardennes et les Flandres.
Ces fuyards, aux yeux agrandis par la peur, précèdent l’arrivée de la guerre dans les pays de la Loire, sur les confins du Massif central. Les réfugiés annoncent la venue du malheur.
Le jeune préfet de Chartres, Jean Moulin, n’a aucune illusion. Il a été chef de cabinet du ministre du Front populaire Pierre Cot. C’est un antinazi déterminé et lucide. Proche du parti radical, c’est un républicain intransigeant.
La Luftwaffe a bombardé les terrains d’aviation qui entourent Chartres, et maintenant c’est la ville qui est prise pour cible. La population saisie par la panique commence à quitter Chartres, à aller grossir les flots de l’exode. Jean Moulin fait afficher une proclamation pour tenter de la retenir, briser ce cercle de la peur et de la fuite.
« Habitants d’Eure-et-Loir, a-t-il écrit.
« Vos fils résistent victorieusement à la ruée allemande. Soyez dignes d’eux en restant calmes.
« Aucun ordre d’évacuation du département n’a été donné parce que rien ne la justifie. N’écoutez pas les paniquards qui seront d’ailleurs châtiés.
« Il faut que chacun soit à son poste. Il faut que la vie économique continue.
« Les élus et les fonctionnaires se doivent de donner l’exemple. Aucune défaillance ne saurait être tolérée.
« J’ai confiance en vous. Nous vaincrons.
« Jean Moulin
« Préfet d’Eure-et-Loir. »
C’est le mardi 11 juin 1940. Le généralissime Weygand et le maréchal Pétain, icône victorieuse de l’armée et de la plupart des anciens combattants, ne songent pas à la victoire future, à la lutte par tous les moyens, mais à la fin de la guerre et à l’armistice.
De Gaulle a convaincu Paul Reynaud qu’il faut, au moins, si l’on veut continuer le combat, chasser Weygand.
De Gaulle quitte Orléans, où il est arrivé dans la nuit avec Reynaud, pour Arcis-sur-Aube, où le général Huntziger a établi son quartier général. C’est à lui que de Gaulle pense pour remplacer Weygand. Reynaud devait accompagner de Gaulle, mais au dernier moment, il se dérobe.
Huntziger hésite, ne croit pas au réduit breton, et n’apparaît pas comme l’homme capable d’incarner une nouvelle stratégie.
De Gaulle repart, se rend à Briare où doit se tenir, en présence de Churchill, le Conseil suprême allié.
Il faut, pour parvenir à Briare, fendre le flot des réfugiés, qui se dispersent dans les champs comme un troupeau sans berger quand ils croient entendre le bruit d’un moteur d’avion, ou qu’ils imaginent que cette brume qui s’étend sur la campagne avec le crépuscule est un gaz.
Et puis tout à coup, on quitte la route et cette artère du désespoir, on entre dans un univers qui semble hors du temps. C’est la cour du château du Muguet, à Briare, où doit se tenir la réunion du Conseil suprême allié.
Il est 19 heures ce mardi 11 juin.
Les nouvelles sont accablantes. Il n’y a presque plus d’armée. Les Allemands sont à Dieppe, à Rouen, ils roulent vers Cherbourg. Ils ont pris Reims et Épernay.
La salle à manger du château est devenue salle de conférence.
Pétain toise de Gaulle.
« Vous êtes général, dit le Maréchal, d’une voix sèche. Je ne vous en félicite pas. À quoi bon les grades dans la défaite ?
— Mais vous-même, monsieur le Maréchal, c’est pendant la retraite de 1914 que vous avez reçu vos premières étoiles ? Quelques jours après, c’était la Marne. »
Weygand commence son exposé de la situation militaire.
« On se trouve sur une véritable lame de couteau, dit-il. C’est une course contre l’épuisement des troupes françaises qui sont sur le point de ne plus en pouvoir et sur l’essoufflement de l’ennemi. »
Weygand, le visage parcheminé, répète : « C’est bien légèrement que l’on est entré en guerre. » Il reproche aux Anglais de ne pas avoir apporté une aide suffisante.
Churchill s’insurge, invite à défendre Paris rue par rue, à transformer la France en un terrain de guérilla.
« Tout cela n’a plus de sens », lance Weygand.
On s’interrompt à 21 h 30.
On dîne. De Gaulle est assis à côté de Churchill.
« En 1918, dit Pétain au Premier Ministre, je vous ai donné quarante divisions pour sauver l’armée
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