1940-De l'abîme a l'espérance
Churchill lui a murmurés : « Vous, l’homme du destin. »
Sera-t-il cet homme-là ?
Il s’indigne de l’ambition et des projets de Pétain.
« La vieillesse est un naufrage, dit-il. Pour que rien ne nous soit épargné, la vieillesse du maréchal Pétain va s’identifier avec le naufrage de la France. »
« Moi, en tout cas, confie-t-il au lieutenant Geoffroy Chodron de Courcel, son aide de camp, jamais je ne signerai l’armistice. Ce serait contraire à l’honneur et à l’intérêt français. Jamais je ne m’y résoudrai. Je reprendrai un commandement, n’importe lequel. »
Une nouvelle fois, il se souvient des propos de Mandel.
Il doit se battre jusqu’au bout, au sein de ce gouvernement. Ne pas céder.
Sur la route encombrée qui conduit à Bordeaux, la voiture de De Gaulle double celle du directeur de cabinet de Paul Reynaud, Dominique Leca.
De Gaulle fait arrêter le véhicule et interroge Leca sur les dernières nouvelles.
Paris est totalement investi. Les Allemands sont au Havre, à Caen, à Alençon. Pourquoi pas demain à La Rochelle, à Bordeaux ?
« Taisez-vous, taisez-vous », murmure de Gaulle.
Leca lui apprend que Paul Reynaud a adressé un ultime message à Roosevelt.
« Si vous n’intervenez pas, a écrit Paul Reynaud, vous verrez la France s’enfoncer comme un homme qui se noie et disparaître après avoir jeté un dernier regard vers la terre de liberté d’où elle attendait son salut… Si vous ne pouvez pas donner à la France, dans les heures qui viennent, la certitude que les États-Unis entreront en guerre à très brève échéance, le destin du monde va changer. »
De Gaulle fait quelques pas aux côtés de Leca.
« C’est d’abord en soi et de soi qu’on attend le salut », dit-il.
Il s’agit de savoir si on se bat ou ne se bat pas.
16 .
Voici Bordeaux en cette fin d’après-midi du vendredi 14 juin 1940.
C’est la capitale des débâcles, là où sont venus se réfugier, en 1870 et durant quelques semaines en 1914, tous les fuyards du Paris gouvernemental, cette foule où le noir officiel des complets vestons côtoie les toilettes claires des femmes élégantes.
La voiture de De Gaulle roule au pas, sur l’unique pont qui enjambe la Garonne, puis dans les rues embouteillées du centre de Bordeaux.
Les voitures des hauts fonctionnaires, des ministres, s’entassent cours de l’intendance, devant les grands hôtels où l’on se bouscule pour obtenir une chambre. Pétain est au Grand Hôtel. Les ministres sont à l’hôtel Splendid. Paul Reynaud s’est installé rue Vital-Carles, au siège de la région militaire.
La ville est comme un vase qui déborde et qu’on continue à remplir.
Ici, à chaque pas, on croise un personnage.
Adrien Marquet, le maire de la ville, le complice de Laval, héberge à la mairie les « conspirateurs », ceux qui veulent comme lui qu’on en termine avec les combats.
Il parle haut : « La fin de la guerre est un impératif », dit-il.
Jean Ybarnégaray, ministre d’État, que de Gaulle imaginait partisan de la lutte, proclame :
« Pour moi, ancien combattant, rien ne compte que d’obéir à mes chefs, Pétain et Weygand. »
Le généralissime vient d’arriver à Bordeaux. Il a rencontré Pétain. Il ne veut pas d’un cessez-le-feu, ni d’une capitulation de l’armée, mais d’un armistice qui sauve l’honneur de l’armée, et couvre d’opprobre ces politiciens qui ont lancé le pays dans la guerre. Il faut qu’ils soient emportés par la débâcle. On tire la chasse et ils disparaissent ! Et cette vidange permettra de voir surgir un nouveau régime politique.
Quant à l’Angleterre, « dans trois semaines, elle aura le cou tordu comme un poulet », dit Weygand.
Le maréchal Pétain, l’amiral Darlan, sont du même avis.
Et la comtesse Hélène de Portes harcèle Paul Reynaud pour qu’il rallie le camp des partisans de l’armistice, où se trouvent ses amis, Paul Baudouin, Bouthillier, le ministre des Finances.
La comtesse répète ce que Weygand dit :
« Vous faites tuer des hommes pour rien. Combien cela va-t-il durer ? »
Car des fragments des armées françaises brisées continuent de combattre avec un héroïsme désespéré.
Il suffit d’une poignée d’hommes autour d’une mitrailleuse, de l’autre côté d’une rivière. Il suffit de quelques tanks pour arrêter trois ou quatre heures les Panzers allemands. Puis la machine
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