1940-De l'abîme a l'espérance
puissante déferle, écrase les héros.
Von Kleist est aux portes de Bourges. Von Reichenau s’apprête à prendre Orléans et à franchir la Loire. Guderian entre dans Besançon.
Pendant ce temps, à Bordeaux, on conspire, on murmure que Paul Reynaud a dû pendant un dîner dans la salle à manger de l’hôtel Splendid envoyer deux verres d’eau au visage de la comtesse de Portes, affolée, hystérique.
« Une dinde », murmure de Gaulle.
Il voit Reynaud.
« Si vous restez ici, vous allez être submergé par la défaite, lui dit-il. Depuis trois jours, je mesure avec quelle vitesse nous roulons vers la capitulation. »
Il accule Reynaud, l’informe que les adversaires de l’armistice ne sont pas en sécurité à Bordeaux. Marquet dirige la police municipale. Pétain et Weygand tiennent l’armée.
« Je vous ai donné mon modeste concours, ajoute de Gaulle. Mais c’était pour faire la guerre. »
Reynaud se redresse.
Il ira à Alger, affirme-t-il. Il veut continuer la guerre aux côtés de l’Angleterre. La France est liée à elle par le traité du 28 mars. Pas d’armistice ou de paix séparés.
« Dans ces conditions, dit de Gaulle, j’irai demain à Londres. Où vous retrouverai-je ?
— À Alger », répond Reynaud.
Dans la grande salle à manger de l’hôtel Splendid, de Gaulle s’est attablé en compagnie de son aide de camp, le lieutenant Geoffroy de Courcel.
La salle décorée de miroirs et de tentures poussiéreuses amplifie le brouhaha. Ils sont tous là, Hélène de Portes, Pétain, Baudouin, Chautemps.
Il ne faut pas se laisser engloutir dans cette atmosphère. Ici, l’on se goberge alors que les Allemands défilent sur les Champs-Élysées et que les fanfares de la Wehrmacht résonnent sous les voûtes de l’Arc de triomphe.
De Gaulle se lève. Courcel lui annonce qu’il n’a pu trouver d’avion pour Londres. Il faudra rouler jusqu’à Brest, et de là embarquer sur un navire de guerre. Il faut partir cette nuit.
De Gaulle s’approche de la table où achève de dîner le maréchal Pétain.
De Gaulle, sous-lieutenant tout juste sorti de Saint-Cyr, avait servi avant l’été 1914 sous les ordres du colonel Pétain, commandant le 33 e régiment d’infanterie d’Arras.
Puis la guerre, Verdun, l’appui de Pétain à de Gaulle avant la brouille des années trente.
Maintenant, c’est « l’extrême hiver » de la vie du Maréchal.
Les deux hommes se serrent la main sans échanger un mot.
L’aube du samedi 15 juin se lève, la voiture de De Gaulle roule vers Brest, à contre-courant du flot des réfugiés.
Entre Rennes et Brest, on longe des fantassins anglais et canadiens qui se replient et vont s’embarquer à Brest, d’autres le feront à Saint-Malo, à Saint-Nazaire. Près de 197 000 hommes et 300 canons en quelques jours échapperont ainsi aux Allemands.
Le général Alan Broke, vétéran de Dunkerque, a imposé à Churchill ce retrait. Le Premier Ministre voulait ne donner aucun prétexte aux Français de rompre le traité du 28 mars. Mais, inexorablement, la France s’enfonce dans la débâcle.
En Bretagne, à Paimpont, de Gaulle rend visite à sa mère, malade. Elle a connu 1870, la trahison de Bazaine. L’humiliation. Mais elle est pleine d’espérance.
Puis de Gaulle retrouve pour quelques dizaines de minutes son épouse et ses enfants réfugiés à Carantec.
« Ça va très mal, dit-il à Yvonne de Gaulle. Peut-être allons-nous continuer le combat en Afrique, mais je crois plutôt que tout va s’effondrer. Je vous préviens pour que vous soyez prête à partir au premier signal. »
À Brest, il embarque sur le contre-torpilleur Milan. Le navire transporte une cargaison d’« eau lourde » que le ministre de l’Armement, Raoul Dautry, envoie en Angleterre, pour soustraire aux nazis cet élément nécessaire à la fabrication d’armes nouvelles qui pourraient être terrifiantes et décider du sort de la guerre. De Gaulle est sur la passerelle.
Les mots de Churchill lui reviennent : « L’homme du destin », a dit le Premier Ministre.
La route sera longue.
Alors que dans la journée du samedi 15 juin, de Gaulle roule vers Brest, puis à bord du Milan vers Plymouth, à Bordeaux, Pétain, Weygand avancent résolument vers leur but, ne trouvant en face d’eux qu’un Paul Reynaud décidé à continuer la guerre, mais s’égarant dans le labyrinthe de ses manœuvres et de ses
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