1941-Le monde prend feu
le permirent, les unités de l’armée
tinrent de brèves réunions. Des instructeurs politiques expliquèrent comment, en
réponse à l’appel de Staline, le peuple tout entier se levait comme un seul
homme pour combattre pour la Sainte Patrie… »
C’était comme si chaque Russe, soldat, officier, ouvrier, paysan,
voulait oublier ce qu’il avait vécu, depuis plus d’une décennie : la
terreur, les arrestations, les déportations, les exécutions par les hommes du
NKVD.
Pas une famille russe pourtant qui n’ait eu à subir ce joug.
Et les pelotons d’exécution du NKVD étaient toujours à l’œuvre. Le général
Pavlov et son état-major venaient d’être passés par les armes. Et d’autres, qualifiés
de traîtres, d’oppositionnels, d’espions, de déserteurs et de semeurs de
panique, allaient subir le même sort.
Mais on oubliait le tyran.
On ne s’interrogeait pas sur les raisons de son silence
durant les douze jours cruciaux qui avaient suivi l’invasion allemande, parmi
les plus sombres de l’histoire russe.
Saline était-il effondré, ivre ?
Peu importait. Il parlait ce 3 juillet : il
restait le tyran, mais on entendait les mots « amis », « frères »,
« sœurs ». Il était la voix de la Russie.
Alors, au moment où la retraite de l’armée Rouge de plus de
500 kilomètres et l’ampleur de ses pertes caractérisaient la situation
militaire, la Pravda du 9 juillet titrait :
« Vive le Grand Staline, l’instigateur et l’organisateur
de nos Victoires. »
18.
Ce 9 juillet 1941, le titre de la Pravda n’étonne
pas Alexander Werth, correspondant de guerre du Sunday Times. Il est
arrivé en Russie le 3 juillet, avec la mission militaire britannique.
Seize heures de vol des Shetland à Arkhangelsk, à bord d’un
hydravion Catalina, puis, après une courte escale, cinq heures de vol « dans
un splendide et énorme Douglas » jusqu’à Moscou.
La ville, ensoleillée, avec ses rues populeuses et ses
boutiques amplement garnies, émeut Alexander Werth [1] .
Il est d’origine russe – il a vécu jusqu’à dix-sept ans
à Saint-Pétersbourg, avenue Leningrad. Citoyen britannique mais aussi russe, il
connaît les réalités soviétiques.
Il sait que derrière le titre grandiloquent de la Pravda se cachent les défaites, les centaines de milliers de prisonniers, l’avancée
allemande jusqu’à Smolensk tombé le 16 juillet après Minsk, et sûrement
peu de semaines avant Kiev.
Mais Moscou paraît confiant.
Les passants se pressent devant les affiches représentant un
char russe écrasant un crabe géant, ou bien un soldat de l’armée Rouge
enfonçant sa baïonnette dans la gorge d’un rat : et ce rat et ce crabe ont
la tête de Hitler.
« Écrasez la vermine fasciste », dit la légende.
D’autres affiches appellent les « femmes à aller
travailler dans les kolkhozes, à remplacer les hommes partis aux armées ».
Werth croise souvent dans les rues des soldats en armes qui
marchent en chantant et se dirigent vers les gares qui les conduiront au front,
dans cette ligne de défense établie à l’est de Smolensk et qui, à coups de
contre-attaques meurtrières, a arrêté la Blitzkrieg des Panzers du
général Guderian et du général von Bock.
Werth rencontre aussi des miliciens, des jeunes gens requis
pour la défense passive, car l’état-major estime que la Luftwaffe procédera à
des raids sur Moscou. Dès le 10 juillet ont été organisés des abris
antiaériens.
Il constate la mise en route de la mobilisation de tout le
peuple.
Les volontaires rejoignent ainsi leurs points de
rassemblement, avec leurs maigres ballots ou leurs petites valises.
Des « bataillons ouvriers » ont été mis sur pied.
Si la ville est attaquée, ces hommes doivent défendre leurs
usines contre les « fascistes ». Il en est ainsi à Moscou, à
Leningrad, à Stalingrad.
Mais les femmes et les enfants sont invités à quitter Moscou.
On distribue des permis qui les affectent à telle ou telle ville, au-delà de la
Volga, loin à l’est de l’Oural. Alexander Werth, le 11 juillet, fait le
tour des gares.
« À la gare de Koursk, je vis pleurer beaucoup de
femmes qui se rendaient à Gorki : peut-être ne reviendraient-elles pas de
longtemps à Moscou, peut-être les Allemands allaient-ils arriver [2] … »
Ils ont pris Smolensk.
Ce jour-là, 16 juillet 1941, Staline rétablit les
commissaires
Weitere Kostenlose Bücher