1941-Le monde prend feu
Hitler.
Les Allemands auraient capturé 665 000 Russes.
Les prisonniers défilent en larges colonnes interminables, couleur
de boue.
C’est un troupeau d’hommes épuisés, gardés par quelques
Allemands et des Ukrainiens enrôlés comme supplétifs de la Wehrmacht qui se
souviennent des atrocités commises par les bolcheviques.
Le 26 septembre, la bataille de Kiev est terminée, les
dernières troupes soviétiques encerclées se sont rendues au terme d’âpres
combats.
La pluie redouble.
La boue devient si épaisse que les voitures s’y enfoncent
jusqu’aux essieux et les hommes jusqu’aux genoux.
« La distance entre le premier char et le dernier
camion de ravitaillement est de quelque 300 kilomètres, témoigne August
von Kageneck. Impossible de faire parvenir des munitions, le ravitaillement, le
courrier à la troupe. La guerre meurt doucement. Notre arme blindée, l’orgueil
de la Wehrmacht, le fer de lance de la grande attaque sur Moscou – Kiev
conquise, elle est l’objectif du Führer –, est brusquement mise hors jeu. Quinze
Panzerdivisionen sont condamnées à l’inaction complète. Nous faisons des
prières pour qu’enfin le gel arrive. »
Hitler ignore les difficultés que ses armées éprouvent.
Mais tous les généraux, plongés dans les combats, disent
comme von Rundstedt :
« Je m’aperçois que tout ce qu’on nous a raconté sur la
Russie n’est que bourrage de crâne ! »
Le général Halder ajoute : « Nous avions basé nos
calculs sur une force armée d’environ deux cents divisions. Au bout de trois
mois de combat, nous en avons déjà identifié trois cents ! Aussitôt qu’une
douzaine est exterminée, une autre douzaine la remplace…
« Les Russes sont faits prisonniers par centaines de
milliers mais l’armée Rouge résiste et, même encerclés, les Russes défendent
leur position et se battent pied à pied. »
Ils disposent de ces chars, T34, monstres d’acier qu’aucun
obus allemand ne peut percer.
Ils bénéficient de l’appui d’avions de chasse qui
envahissent le ciel alors que la Luftwaffe est loin de ses bases et ne peut
protéger tout le front.
Ils ont déjà pour allié le froid.
En ce mois d’octobre, il commence à mordre rageusement les
corps des soldats qu’aucun équipement d’hiver ne vient protéger.
Mais Hitler ne s’en soucie pas. Le 2 octobre 1941, il
adresse au peuple allemand une proclamation triomphante :
« Je déclare aujourd’hui et sans aucune réserve que
notre ennemi de l’Est est abattu et ne se relèvera jamais…
« Derrière nos armées victorieuses s’étend déjà un
territoire deux fois plus vaste que celui du Reich quand je pris le pouvoir en
1933. »
20.
À Vichy, autour de Pétain, les propos de Hitler rassurent.
Une victoire allemande rapide sur les « judéo-bolcheviques »
pourrait contenir ce changement dans l’opinion française que les services de
police du gouvernement de Vichy signalent depuis le mois de mars 1941.
Et l’invasion de la Russie par les troupes allemandes, le 22 juin,
a fait basculer les communistes et ceux qu’ils influencent dans une hostilité
déterminée – « terroriste » – à la politique de
collaboration.
La police a déjà démantelé des groupes armés composés de
Juifs apatrides, d’étrangers – Italiens, Espagnols.
Certes le maréchal Pétain est toujours accueilli avec
ferveur par des foules imposantes, à Saint-Étienne, à Grenoble, à Commentry.
Les anciens combattants sont au garde-à-vous, la poitrine
bardée de toutes leurs décorations. Ils saluent le vainqueur de Verdun.
Les mères présentent leurs enfants au chef de l’État, un
véritable et digne grand-père.
Les élèves des écoles entonnent Maréchal, nous voilà ! L’évêque, les prêtres sont nombreux.
Le service d’ordre n’a que rarement l’occasion d’intervenir.
Qui oserait s’en prendre au Maréchal ?
On craint la répression. On se sait surveillé. La police
tient à jour ses fichiers : Juifs, communistes, socialistes, syndicalistes
sont repérés.
Des camps d’internement sont ouverts pour y enfermer les
étrangers, les apatrides, cette « racaille » responsable de la guerre,
de la défaite.
Mais si les Français, prudemment, s’abstiennent de
manifester leurs réserves, leur hostilité, ils ont faim et dans les queues qui
s’allongent devant les boulangeries, les épiceries, les boucheries, dans
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