1941-Le monde prend feu
Je voulais leur faire
payer nos morts et nos blessés. Tant pis si une église brûlait. »
Il sera récompensé par son chef de bataillon, le major Ohlen.
« Au nom du Führer, commandant suprême de la Wehrmacht,
je vous remets la croix de fer de deuxième classe, pour votre bravoure lors de
la prise de Tarnopol… Vous n’avez que dix-huit ans, vous pouvez être fier !
— Je le suis, Herr Major.
« Le soir même, raconte Kageneck, je devais apprendre à
quoi avait servi ma “bravoure”. »
L’un de ses soldats, bouleversé, lui apprend qu’en deux
jours la division SS Wiking a assassiné toute la population juive de Tarnopol.
On dénombre plus de quinze mille hommes, femmes et enfants
assassinés.
On raconte que les SS à court de munitions ont ordonné à
leurs victimes de s’entretuer elles-mêmes avec tout ce qui leur tombait sous la
main !
Le lendemain, la rumeur se répand que le Gruppenführer Eicke,
général commandant la division Wiking, a été relevé de ses fonctions par le
Führer.
Et le chef de bataillon Ohlen affirme à ses officiers que la Kommissarbefehl – l’exécution de tous les commissaires politiques –
décrétée par le Führer ne sera pas applicable dans les unités de la IX e Panzer.
On peut donc continuer à combattre aux côtés des SS. Il
suffira de tourner la tête !
Le 3 juillet 1941, douze jours après le début de l’attaque
allemande, le général Halder écrit :
« On peut affirmer sans exagération après avoir pris
connaissance du dernier rapport de l’état-major que notre Feldzug russe
sera virtuellement achevée en quatorze jours. D’ici quelques semaines, tout
sera dit. »
17.
Ce 3 juillet 1941, enfin Staline parle.
Il est 6 h 30 du matin et, sur toutes les places
de Moscou et des autres grandes villes de l’Union soviétique – et parfois
à l’autre bout du pays –, c’est encore – ou déjà – la nuit, sa
voix grave à l’accent géorgien fige les passants.
Ils lèvent la tête vers les haut-parleurs et il semble qu’ils
scrutent le ciel laiteux d’une journée d’été qui commence.
Dans les grandes usines métallurgiques où l’on fond le
minerai de fer qui deviendra acier, qui se transformera en chars T34, en canons,
en casques, les ouvriers ont cessé le travail et fixent eux aussi les
haut-parleurs.
Et il en est de même dans les casernes où sont rassemblés
les volontaires, sur le front, on entend la même voix.
Enfin Staline parle, lentement, de sa voix sourde.
Et dès les premiers mots, l’émotion serre la gorge.
« Camarades, citoyens, frères et sœurs, combattants de
notre armée et de notre marine !
« Je m’adresse à vous, mes amis. »
Il n’a jamais parlé ainsi. Il devient le paysan et le pope, le
tsar et le tyran communiste, celui qu’on suit, auquel on obéit.
Et ce n’est pas la peur du knout, de la balle dans la nuque,
de la déportation au-delà du cercle polaire qui fait qu’on tremble en l’écoutant.
C’est qu’il est des « nôtres ». « Nous sommes »,
il l’a dit, ses frères, ses sœurs, ses amis, parce que nous devons faire face
ensemble à un « ennemi cruel et sans pitié », à « l’ennemi le
plus néfaste, le plus perfide : le fascisme allemand ».
Et Staline nous dit que nous sommes la Sainte Russie, la
Russie qui a vaincu les chevaliers Teutoniques avec Alexandre Nevski, qui a
détruit l’armée de Napoléon avec Souvorov et Koutouzov, qui à l’appel du grand
Lénine a vu se lever les partisans qui ont défait les armées de Guillaume II
puis les armées blanches.
Il dit toute l’histoire russe, lorsqu’il répète « frères
et sœurs ».
Il parle sans grandiloquence, d’une voix sourde et calme, et
l’on devine pourtant l’émotion qui l’étreint, peut-être parce que le souffle
est lourd, révèle la fatigue.
Il s’interrompt et on entend le bruit de l’eau qu’il boit.
Puis, il dit : « Une sérieuse menace plane sur
notre pays. »
Et l’on apprend que Leningrad est déjà menacé, que Smolensk
est encerclé et va tomber, et au bout de cette route il y a Moscou.
Les avions allemands ont bombardé Mourmansk, Mohilev, Kiev, Odessa
et Sébastopol.
La vérité est amère, mais elle est dite enfin après douze
jours de retraite, de défaite.
Les troupes russes ont reculé de 500 kilomètres et
abandonné des centaines de milliers de prisonniers.
Mais de
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