1941-Le monde prend feu
les directeurs se sont enfuis, comme de
nombreux officiels dont les voitures ont croisé dans les rues les bataillons de
volontaires marchant sans enthousiasme vers le front.
Pour tout Moscou, on n’a pu enregistrer que douze mille
volontaires. La résolution de défendre Moscou n’anime ainsi qu’une partie de la
population.
Ces jeunes ouvrières d’usine ont rejoint le Front du travail.
« On nous amena à quelques kilomètres de Moscou, raconte
l’une d’elles à Alexander Werth. Nous étions beaucoup. On nous a dit de creuser
des tranchées. Nous étions toutes très calmes, mais saisies de stupeur… Ce n’était
pas croyable… Dès le premier jour, nous fûmes mitraillées par un Fritz qui
descendit sur nous en piqué. Onze jeunes filles furent tuées, quatre blessées.
« Nous travaillâmes tout le jour, et tout le jour
suivant. Par bonheur les avions allemands ne revinrent pas. »
Le directeur de l’usine distribue à ses ouvrières les stocks
de vivres dont il dispose. Et la jeune femme les enterre dans la cave de ses
parents.
« Nous pensions pouvoir vivre à la cave si les
Allemands venaient car nous savions qu’ils ne pourraient rester longtemps à
Moscou. »
Le directeur d’usine a miné le bâtiment, les machines et, ce
16 octobre, « jour de grande panique », il est prêt à faire
exploser son entreprise. Il recevra l’ordre, dès le 17, de ne rien faire sauter.
Dans d’autres entreprises, des pillages ont lieu et, le 19 octobre,
l’état de siège est proclamé. Des cours martiales jugeront les pillards, les
espions « diversionnistes et agents provocateurs ». Le maintien de l’ordre
dans Moscou est confié au commandant des troupes du NKVD.
Mais la « grande panique » du 16 octobre
commence à se dissiper.
Deux millions de personnes ont été évacuées et les « fuyards »,
les « paniquards » les « officiels » avec ou sans
laissez-passer ont aussi quitté la ville pour l’Est, Kouïbychev.
Et surtout la radio a, tout au long de la journée du 17 octobre,
répété que Staline était à Moscou.
Et cela rassure, comme si la présence de Staline
garantissait que Moscou ne serait pas occupé par les Allemands, la peur et la
confiance changeaient de camp.
Et puis la neige tombait, et le vent glacial cisaillait les
corps mal protégés. Et l’on disait que les Allemands n’avaient pas de tenue d’hiver ;
contrairement aux soldats de l’armée Rouge, disposant de survêtements blancs, de
vestes molletonnées.
On ne peut se battre efficacement que si le corps et l’être
ne sont pas rongés par le froid.
Vassili Grossman rapporte les observations d’un capitaine de
l’armée Rouge qui s’est approché à une cinquantaine de mètres des Allemands et
a étudié leur comportement.
« Avant de pénétrer dans la forêt, les Allemands l’arrosent
sauvagement de balles, puis ils foncent à toute allure… Le soir, ils sortent à
la lisière de la forêt et font donner les pistolets-mitrailleurs. Il y a eu une
cavalcade et un hurlement de sauvage. Des dizaines de fusées se sont élevées
dans l’air. L’artillerie s’est mise à tirer au hasard, les mitrailleuses
crépitaient, les pistolets-mitrailleurs tiraient vers le ciel. Leur façon de
faire était celle de fous complets », conclut le capitaine russe.
L’angoisse, la peur, la découverte d’une nature hostile, la
sensation d’être perdus dans une immensité boueuse ou glacée sapent la
confiance de la Wehrmacht, harcelée par les « partisans », attaquée
par des troupes russes bien équipées.
Le général Blumentritt, chef de la IV e armée,
écrit, évoquant la raspoutitsa qui a transformé les sols en glue, durant
la première quinzaine d’octobre :
« Les fantassins pataugent, glissent et tous les
véhicules sur roue s’embourbent jusqu’au moyeu. Chaque pièce d’artillerie doit
être tirée par un attelage de plusieurs chevaux. Même les tracteurs à chenilles
n’avancent que difficilement. Une grande partie de notre artillerie lourde est
restée enlisée dans cet océan de boue gluante… L’état d’épuisement de nos
troupes s’imagine sans peine. »
Puis viennent le gel, la glace, les blizzards polaires.
« Alors que Moscou est presque en vue, confie Blumentritt,
le moral des officiers et des hommes commence à baisser. La résistance ennemie
s’accentue et les combats deviennent plus féroces. Plusieurs de nos
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