1941-Le monde prend feu
l’Allemagne nazie, dit Lozovski. Le discours de Hitler signifie
seulement que le Führer est gagné par le désespoir. Il sait qu’il ne gagnera
pas la guerre, mais il lui faut contenter plus ou moins les Allemands pour cet
hiver, et il doit donc remporter quelques succès majeurs qui sembleraient
indiquer qu’une certaine phase de la guerre est terminée. » Hitler, selon
le porte-parole soviétique, ne peut accepter et même concevoir l’accord
anglo-américano-soviétique.
Puis Lozovski ajoute – et les journalistes échangent
des regards stupéfaits comme si Lozovski voulait les préparer à la chute de
Moscou :
« De toute façon, la prise de telle ou telle ville n’affecterait
en rien l’issue finale de la guerre. »
Prenant sans doute conscience de cet aveu, Lozovski conclut
sourdement :
« Si les Allemands veulent absolument avoir quelques
centaines de milliers de morts de plus, leur vœu sera comblé. »
28.
Les Russes qui, le 8 octobre, se contentent de lire les
grands quotidiens, la Pravda , et les Izvestia, apprennent
seulement que d’âpres combats se déroulent dans le secteur de Viazma, entre
Smolensk et Moscou, mais donc à 200 kilomètres de la capitale. Et pourtant,
dans les gares de Moscou, la foule prend d’assaut les trains qui partent vers l’est,
l’au-delà de l’Oural.
La rumeur se répand ce 8 octobre que les ambassades, les
ministères ont reçu l’ordre de se préparer à l’évacuation.
Le 9 octobre, la Pravda appelle à la vigilance.
Le peuple de Moscou doit « mobiliser toutes ses forces
pour repousser l’offensive ennemie ».
Le journal met les Russes en garde contre « les espions
et les agents provocateurs, les défaitistes qui ont pour mission de désorganiser
les arrières et de semer la panique ».
Les Moscovites savent ce que cela signifie : répression,
déportations, exécutions.
On dit que les troupes du NKVD – la police politique –
sont organisées en « groupes de sécurité de l’arrière avec mission de
tirer à la mitrailleuse sur tous ceux qui céderaient à la panique, ou sur les
troupes qui battraient en retraite sans en avoir reçu l’ordre ».
Mais les soldats russes s’accrochent au sol de la « mère
patrie ». Et les généraux allemands le constatent amèrement :
« À notre grande surprise, et à notre désappointement, écrit
le général Blumentritt, nous avons constaté, entre octobre et novembre, que ces
bolcheviques vaincus ignoraient absolument qu’ils avaient cessé d’exister comme
puissance militaire, ainsi que le répètent Hitler et son entourage ! »
Quant à Guderian, il rapporte les propos que lui tient un
vieux général tsariste :
« Si vous étiez venus il y a vingt ans, nous vous
aurions accueillis à bras ouverts. Aujourd’hui, il est trop tard. À peine
commencions-nous à nous remettre sur pied que vous nous rejetez de vingt ans en
arrière et vous nous obligez à repartir de zéro, mais depuis lors, les temps
ont bien changé. À présent, nous combattons pour la patrie russe et cette
cause-là nous trouvera toujours unis comme un seul homme. »
Le journal de l’armée, L’Étoile rouge , écrit le 8 octobre :
« Hitler a jeté dans cette bataille tout ce qu’il avait –
les chars les plus anciens, tous les blindés récoltés en Hollande, en France ou
en Belgique… Les soldats soviétiques doivent à tout prix détruire ces chars, neufs
ou anciens, lourds ou légers. »
En caractères gras, et en première page, L’Étoile rouge n’hésite
plus à évoquer la gravité de la situation militaire : « L’existence
même de l’État soviétique est en danger… Tout soldat de l’armée Rouge doit
tenir fermement et se battre jusqu’à la dernière goutte de son sang. »
Le 12 octobre, la Pravda titre sur « le
terrible danger qui menace le pays ».
Vassili Grossman, revenant du front, est étonné par ce qu’il
voit en arrivant à Moscou :
« Des barricades aux accès lointains de la ville, aux
accès proches et dans la ville elle-même, surtout sur ses pourtours. » Il
se rend au siège de L’Étoile rouge , raconte ce qu’il a vu : Orel, contrairement
à ce qu’affirme le haut commandement, a été pris sans combat, et comment l’état-major
l’a renvoyé.
Mais le rédacteur en chef se contente de lui dire :
« Ce qu’il nous faut, ce n’est pas votre voiture
criblée de balles mais des papiers pour le
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