1942-Le jour se lève
prisonniers, puis « décrochent ».
En ces jours de mai, la chaleur est accablante et les nuits
sont glaciales. L’eau est rare, tiède, fétide. Mais le vin que les Free
French ont exigé – on ne prive pas un légionnaire de vin : les
Anglais l’ont compris – est imbuvable. Il faudra donc se contenter de thé.
À partir de la deuxième quinzaine de mai, l’aviation
allemande commence à harceler Bir Hakeim ; c’est le prélude de l’attaque
de Rommel.
Enfin, les panzers s’ébranlent, approchent en formations
importantes des champs de mines, ce 26 mai 1942, la bataille de Bir Kakeim
est commencée.
« Pendant plus d’une heure, raconte Pierre Messmer, nous
voyons les chars, à peine cachés par la poussière qu’ils soulèvent, évoluer, tirer,
sauter sur nos mines, s’embraser sous les coups de nos canons antichars, s’approcher
et même pénétrer dans le point d’appui, avant de se replier en abandonnant
trente-cinq épaves sur le terrain. »
« Dans sa justice, le Dieu des batailles offre aux
soldats de la France Libre un grand combat et une grande gloire », écrira
de Gaulle.
Quant à Kœnig, décidé à remplir et au-delà la mission que
les Anglais ont confiée aux Français Libres, il va d’un point d’appui à l’autre,
encourage les soldats recroquevillés dans leur trou individuel.
Tous, quelle que soit leur origine, tous volontaires, expriment
sans avoir à parler leur certitude de la victoire.
Kœnig se souvient – en ce mois de mai, le mois de
Jeanne d’Arc – des vers de Péguy dans Le Mystère des saints Innocents.
Il lui semble que le poète, tué d’une balle en plein front
lors des premiers combats de l’été 1914, a dressé, par avance, le portrait d’un Français Libre.
« Peuple soldat, dit Dieu, rien ne vaut les Français
dans la bataille (Et ainsi rien ne vaut les Français dans la Croisade).
« Ils ne demandent pas toujours des ordres et ils ne
demandent pas toujours des explications sur ce qu’il faut faire et sur ce qui
va se passer.
« Ils trouvent tout d’eux-mêmes, ils inventent tout d’eux-mêmes,
à mesure qu’il faut.
« Ils savent tout, tout seuls. On n’a pas besoin de
leur envoyer des ordres à chaque instant.
« Ils se débrouillent tout seuls. Ils comprennent tout
seuls. En pleine bataille ils suivent l’événement.
« Ils se retournent, ils savent toujours ce qu’il faut
faire sans aller demander au général.
« Sans déranger le général. Or il y a toujours la
bataille, dit Dieu.
« Il y a toujours la Croisade.
« Et on est toujours loin du général. »
15 .
Le général Kœnig, ce 27 mai 1942, est au milieu de ses
soldats.
Ils bondissent hors de leurs trous individuels, attaquent
les chars italiens de la division Ariete à la grenade, au revolver, et font
prisonniers les équipages.
Ces 91 hommes capturés sont tous blessés, le corps
couvert de brûlures. Les chars se sont aventurés dans les champs de mines, et, leurs
chenilles détruites, immobilisées, ils ont été des cibles pour les canons des
légionnaires de la 2 e brigade.
Kœnig s’approche de l’un des prisonniers, le colonel Prestisimone.
L’Italien s’est conduit avec bravoure, changeant de char dès
que celui qu’il conduisait était en flammes. Il est loquace malgré ses brûlures,
sa souffrance, raconte qu’en 1918 il combattait aux côtés des chasseurs alpins
français. Il a été blessé par les « Tedeschi », ces Allemands dont il
est aujourd’hui l’allié, mais c’est entre Italiens et Français « une
guerre fratricide ».
Kœnig consulte les plans d’attaque, les cartes que le
colonel italien n’a pas eu le temps de détruire.
Rommel a prévu un horaire d’assaut, plein d’assurance. Il a
écrit : « 9 h – 9 h 15, destruction de la
division gaulliste par la 2 e brigade Ariete. »
Quel mépris, mais aussi quelle méprise !
On va « harceler » Rommel, qui s’imagine sans
doute que les Italiens l’ont emporté sur ces « satanés Français ».
Kœnig donne l’ordre aux brenn-carriers – ces
voitures blindées – de partir en reconnaissance et d’attaquer l’ennemi.
Rommel est surpris par la résistance de ce point d’appui de
Bir Hakeim qu’il comptait détruire en une quinzaine de minutes, et qui ne
pouvait retarder son offensive.
Il a écrit, ce 27 mai 1942, à sa « très chère Lu » :
« Au moment où vous
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