1943-Le souffle de la victoire
la SS – « n’importe
quelle histoire drôle sans avoir à prendre en compte le risque d’être rabroué
et encore moins dénoncé à la police ».
En fait, les Allemands ne peuvent encore imaginer ce qui s’est
passé à Stalingrad et que décrivent les journalistes russes, qui eux-mêmes n’osent
pas toujours l’écrire.
« C’était littéralement jonché de cadavres, dit l’un, nous
les avions proprement encerclés et nos Katiouchas avaient donné à plein… Des
milliers de véhicules, de canons, et même des dépôts de vivres ont été saisis !
Et j’ai vu des milliers de prisonniers allemands qu’on emmenait sur le fleuve
gelé. Seigneur, quelle mine ils avaient ! Sales, de longues barbes
hirsutes : beaucoup avaient des ulcères et des furoncles, et leurs
vêtements étaient des loques. J’en ai vu trois tomber et mourir, en quelques
minutes, de faim, d’épuisement, de froid. »
« C’est l’artillerie qui a fait le principal travail, confie
un soldat. On se rapprochait des blockhaus et on les écrasait avec nos
Katiouchas à trente mètres. »
Le Führer qui reçoit von Manstein, le samedi 6 février,
dans sa tanière du loup , semble pour la première fois conscient de ses
responsabilités personnelles dans l’échec. Il manifeste même du remords, sachant
aussi que c’est ainsi qu’il peut convaincre von Manstein.
Le Feldmarschall ne peut qu’être sensible au fait que Hitler
déclare que « parce qu’il est le Führer, il porte seul la responsabilité
entière de la fin tragique de la VI e armée ».
« J’ai l’impression, confie von Manstein, qu’il est
profondément affecté par cette tragédie qui témoigne de l’échec criant de son
système, et profondément accablé aussi par le sort de tous les soldats qui, parce
qu’ils ont cru en lui, ont combattu jusqu’au bout et fait leur devoir avec tant
de courage et de dévouement. »
Cette posture et cette stratégie – retourner le deuil
et l’échec pour cimenter autour du Führer la nation allemande –, Goebbels
les met en œuvre le 18 février lors d’une grande réunion au Sportpalast de
Berlin.
Devant 14 000 personnes il prononce un grand
discours qui sera radiodiffusé, imprimé dans tous les journaux et rediffusé
plusieurs fois.
Ces 14 000 personnes, commence Goebbels, sont « un
échantillon représentatif de toute la nation allemande, au front et dans la
patrie. Ai-je raison ? ».
La foule hurle « oui ! », applaudit
longuement.
« Mais les Juifs ne sont pas représentés ici ! »
Le public tempête, se dresse. Et tout au long du discours, il
interrompra deux cents fois Goebbels pour l’approuver, lui répondre.
« Êtes-vous, et le peuple allemand est-il déterminé, interroge
Goebbels de sa voix exaltée, si le Führer l’ordonne, à travailler dix, douze et,
si nécessaire, quatorze et seize heures par jour et donner le maximum pour la
Victoire ? »
La salle se dresse, crie « oui ! », applaudit
cependant que Goebbels semble accroché à son pupitre, comme un marin secoué par
la tempête à la barre.
« Je vous demande, voulez-vous la guerre totale ? »
Il répète d’une voix aiguë : « Totalkrieg ! »
La vague des « oui ! » déferle durant
plusieurs minutes.
« Voulez-vous qu’elle soit, si nécessaire, plus totale
et plus radicale que nous ne pouvons même l’imaginer aujourd’hui ? »
« Totalkrieg , Totalkrieg ! », scande,
debout, la foule avant de marteler, frappant des pieds en cadence, faisant
trembler le plancher du Sportpalast.
« Ordonne, Führer, nous te suivrons ! »
Mais une fois que les cris de la foule des nazis fanatiques
ont cessé de retentir, il reste les doutes qui se répandent dans le peuple
allemand.
Le service de sécurité SS écrit dans un rapport consacré à l’évolution
de l’opinion après Stalingrad que les Allemands voudraient voir le Führer :
« Une photo du Führer permettrait aux gens de vérifier par eux-mêmes que
ses cheveux ne sont pas devenus entièrement blancs, comme le bruit en a couru. »
On s’étonne qu’il n’ait pas pris la parole pour honorer les
combattants de la VI e armée, laissant à Goebbels et à Goering
le soin de célébrer leur courage, leur héroïsme.
La presse a beau répéter : « Ils sont morts pour
que vive l’Allemagne », on murmure que « c’est le début de la fin »,
que la capitulation de Paulus
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