4 000 ans de mystifications historiques
disait mort. Il était en Bolivie. Pourquoi ce pays ? Mystère. Il tentait d’y appliquer la tactique maoïste d’encerclement des villes, afin de créer « un deuxième Vietnam ». Mais ses chances d’y parvenir étaient quasi nulles : les paysans se méfiaient de cet étranger et de ses quarante-trois partisans, et le mouvement ouvrier bolivien, en fait celui des mineurs de l’Altiplano, était dirigé par un communiste déjà prévenu contre les excentricités de ce chef de guérilla, Mario Monje. Guevara était seul avec ses compagnons dans une jungle hostile et il était traqué par un ennemi obstiné, la CIA. Il erra de montagne en montagne jusqu’au moment où il fut arrêté par l’armée bolivienne.
Une légende tenace, une de plus, voudrait qu’il soit mort au combat. Mais il fut arrêté vivant au ravin du Churo et il était attaché sur une chaise quand le sous-officier Mario Teran l’exécuta d’une rafale de mitraillette en dessous de la ceinture, dans un bâtiment militaire de La Higuera.
Son exemple fut hélas fertile : au Pérou voisin, un philosophe nommé Abimaël Guzman créa en 1970 un mouvement révolutionnaire, le Sentier lumineux, annonçant que « le triomphe de la révolution coûtera[it] un million de morts ». En 1983, Victor Polay Campos créait, lui, le mouvement révolutionnaire Tupac Amaru, qui signala son existence à l’opinion mondiale en prenant six cents personnes en otages à l’ambassade du Japon, en 1996.
Les mythes, mythifications et mystifications ont parfois des conséquences tragiques.
Après-guerre
L’étrange fascination pour les voix de castrats
Dans les années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, le renouveau de l’activité culturelle suscita de nouveaux pôles d’intérêt dans tous les domaines. En musique, l’un de ceux-ci porta sur les hautes-contre, contre-ténors et falsettistes, voix masculines dites gynoïdes, qui, grâce à un entraînement spécialisé, peuvent chanter des rôles réservés aux femmes, notamment dans le répertoire baroque.
Une oreille d’amateur les discerne rapidement, pas seulement à l’évidence, parce que ce ne sont ni des ténors, ni des basses ni des barytons, mais parce que leur tessiture est différente de celle des voix de femmes, sopranos légers, lyriques ou coloratures.
Certains d’entre eux, tels Jean Belliard et James Bowman, avaient connu un certain succès avant la guerre. Mais il était loin d’égaler la fascination qu’exercèrent alors des vedettes telles qu’Alfred Deller, puis René Jacobs ou Gérard Lesne. La vogue des hautes-contre s’enfla, des livres leur furent consacrés, puis un film exalta l’un de leurs précurseurs, le castrat Farinelli. Car, en fait, les hautes-contre, contre-ténors et falsettistes reprenaient la spécialité de ces infortunés des siècles passés qu’étaient les mutilés sexuels.
La mode s’était emparée de l’exploitation d’une ancienne coutume d’une barbarie ignoble.
Dans les premiers siècles de l’Église de Rome, en effet, il était interdit aux femmes de chanter dans les églises (de même, d’ailleurs, que sur les scènes de la Ville éternelle). Les maîtres de chapelle recoururent alors aux castrats, dont la voix n’avait pas subi sa mue naturelle à la puberté et conservait donc des traits indifférenciés. Les chœurs de la chapelle Sixtine les utilisèrent de 1588 à 1903. Convenablement entraînés, les castrats tenaient les rôles de « fausses femmes », si l’on peut dire. Leur place fut assurée dans les églises, dans la musique et la société, par une ambiguïté doublée d’hypocrisie. En effet, puisque la voix féminine était interdite dans les églises, il eût été logique d’en exclure aussi les imitations. Car ce n’étaient pas des voix d’enfants, mais de fausses voix de femmes.
Mais un certain discours sur l’angélisme, évidemment asexué, prévalut, et nous nous garderons de faire ici de la psychanalyse de comptoir, encore moins post mortem . On verra plus loin que les idéaux célestes n’étaient toutefois pas les seuls moteurs de la vogue des castrats.
Officiellement, l’Église condamnait la castration aux fins de produire des chanteurs, dite « castration euphonique », et ne tolérait que les castrats accidentels. Il est vrai que, dans ces époques, la médecine n’avait pas toujours de grands scrupules et castrait à tort et à travers, par exemple pour une hernie. Rien
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