4 000 ans de mystifications historiques
d’intellectuels occidentaux, impatiente de tâter du feu de l’action, se donna pour porte-drapeau.
Ajoutons que, de notoriété publique, Guevara n’avait aucun sens de l’humour, qualité endémique de la société cubaine. Mais il n’était pas cubain.
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Pour l’écrivain cubain Jacobo Machover, exilé en France, l’icône Guevara est une invention française (88) . Elle commença à la rencontre de celui qui apparaissait aux premiers rangs des chefs cubains avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, le 5 mars 1960. Nul ne sait ce qu’ils se dirent, car ils n’avaient pas besoin d’interprète, Guevara parlant français, ou du moins un français approximatif. Mais le célèbre couple existentialiste ne pouvait concevoir que des éloges pour cet ennemi proclamé du capitalisme et des États-Unis, économiste, médecin, guerillero …
Après la mort de Guevara, en 1967, Sartre déclara : « Je pense, en effet, que cet homme n’a pas été seulement un intellectuel, mais l’homme le plus complet de son époque. Il a été le combattant, le théoricien qui a su extraire de son combat, de la lutte elle-même, de sa propre expérience, la théorie pour mettre en application cette lutte. » Étrange tautologie dont on peut douter que l’intéressé l’eût comprise : comme le rappelle Machover, Guevara jugeait que Sartre était « éternellement supérieur et pédant ». Eût-il été cubain que l’auteur de La Nausée eût sans doute fini dans un camp de travail. Le Commandante avait d’ailleurs répété à l’envi son peu d’estime pour les intellectuels, ceux-là mêmes qui le portaient aux nues.
Quant aux vertus de l’« économiste », elles ne firent pas longtemps illusion : bombardé président de la Banque nationale de Cuba, sa gestion de la monnaie entraîna une dévaluation totale du peso, sa participation à la gestion catastrophique de l’économie nationale confondirent les économistes les plus enclins à l’indulgence. Ce « théoricien » autoproclamé qui se montrait torse nu à la télévision se révéla être un grand délirant, débitant des coquecigrues sur l’abolition de la monnaie, qui eussent fait pâlir le fouriériste le plus doctrinaire. Certains de ceux qui avaient admiré en lui un nouveau Manfred découvrirent avec stupeur Ubu. Les « pays frères » commencèrent à s’inquiéter de la trajectoire économique et politique de cet avant-poste de leur stratégie qu’était Cuba. Puis, quand Guevara dénonça « la complicité tacite des pays socialistes avec les pays exploiteurs de l’Ouest », à Alger en 1965, ils s’énervèrent. Castro s’alarma et le relégua au second plan, puis l’envoya répandre la révolution dans le monde. La fascination entretint cependant la mystification.
Guevara quitta l’île pour toujours cette année-là. Il avait écrit une lettre d’adieu à Fidel Castro ; elle fut divulguée bien avant sa mort, d’ailleurs programmée.
Mais la guevaromanie faisait alors fureur en Occident. Aussi la manie du Petit Livre rouge commençait-elle à s’essouffler. C’était l’époque où des aventuriers sillonnaient la planète, de Katmandou à Santiago du Chili et d’Alger à La Havane, « ivres d’un rêve héroïque et brutal », comme disait Heredia, beatniks fous d’ambition, intellectuels « las de ce monde ancien », pour citer Apollinaire, tous tentant de trouver un rôle dans la révolution universelle. Et tous gardant l’image en eux du barbudo au béret.
Le mythe Guevara s’était enflé, hors de toute proportion, avec la réalité du personnage. Il était devenu une mystification.
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Une tentative d’intervention dans les conflits du Congo se révéla vaine. Affrontant les réalités du monde à l’extérieur des limites cubaines, à la tête d’une petite guérilla de compagnons blancs et de nouveaux compagnons noirs, celui qui s’était pris pour « un condottiere du XX e siècle » fut contraint de déchanter. Sa phraséologie tortueuse avait peu de prise sur un Désiré Kabila, et l’assassinat de Patrice Lumumba avait totalement échappé à ses moyens d’action. Il conclut lui-même à l’échec.
Sa disparition de la scène cubaine gonflait le mythe. Certains en parlaient comme d’un nouveau Jésus qui aurait disparu quarante jours dans le désert.
Le mystère s’épaissit quand on apprit sa présence en Amérique du Sud. Mais était-ce vraiment lui ? Puisqu’on le
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