4 000 ans de mystifications historiques
avoir. On ignore ainsi quelles peuvent avoir été les conséquences de la consommation de produits agricoles « enrichis » de césium 137, de strontium 90 ou de phosphore 32. Nous mangeons peut-être encore des salades au césium.
Et les assurances fournies par les experts n’engagent qu’eux, car on ne peut être expert de ce que l’on connaît, mais pas de ce que l’on ignore.
La prudence et la fidélité dans l’information possèdent au moins le mérite prophylactique de prévenir les théories de complot.
1997
Plus forts que les alchimistes,
les maîtres de la Bre-X
Le souvenir de certaines mystifications est singulièrement volatil : elles sont évoquées deux ou trois jours dans les médias puis, poussées par l’actualité, elles basculent dans le passé et l’oubli. Parfois, leur évaporation s’explique par le fait qu’elles ont compromis des innocents ou des gens puissants qu’il peut être inutile ou risqué de contrarier.
Ainsi de la Bre-X.
Le scénario est étrangement semblable à celui d’une pièce de Jules Romains, Donogoo-Tonka , qui eut son heure de succès en 1929 : des prospecteurs découvrent une mine d’or dans une contrée lointaine. Une société d’exploitation se fonde ; le cours des actions s’envole ; des rêves magnifiques surgissent. Puis crac et krach, on découvre qu’il n’y a jamais eu d’or à Donogoo-Tonka.
En 1993, deux hommes d’affaires, John Felderhof, d’origine hollandaise, et David Walsh, canadien, annoncent la création d’une société de prospection d’or, la Bre-X, dont les actions sont introduites à la Bourse de Calgary, au Canada. Ils s’adjoignent un géologue philippin, Michael de Guzman. Ils annoncent qu’ils vont prospecter la jungle dans la région de Busang, de la partie indonésienne de Bornéo, Kalimantan.
Quelques mois plus tard, ils annoncent la découverte d’un filon exceptionnel près du village de Lao Buri, à une vingtaine de kilomètres de la côte des Célèbes. Des chiffres mirifiques sont évoqués : 1 million d’onces d’or, quelque 31 tonnes. En septembre 1994, les chiffres sont réévalués à la hausse : entre 3 et 6 millions d’onces. En février 1996, on est à 40 millions d’onces, en septembre de la même année, à 71 millions. Enfin, en mars 1997,200 millions d’onces.
Le Busang serait l’Eldorado absolu de tous les temps. Il contiendrait plus d’or que toute la planète.
Introduit à la Bourse de Toronto en avril 1996 à 5 dollars, le titre de la Bre-X atteint 200 dollars à la clôture. En octobre, sa valorisation serait de 15 000 % supérieure à son cours d’origine.
L’expansion – on dirait plutôt le surgissement – de la Bre-X a alors pris des dimensions internationales. Sur l’avis de son conseiller, Henry Kissinger, ancien secrétaire d’État des États-Unis, le dictateur de l’Indonésie à l’époque, le général Mohamed Suharto, a acquis 30 % des actions de la société. Son ministre des Mines confirme la validité du gisement. Une société canadienne de poids, la Barrick, envoie à Jakarta deux émissaires de poids eux aussi, George W. H. Bush, ancien président des États-Unis (père de W.), et Brian Mulroney, ancien Premier ministre du Canada ; les deux hommes sont bientôt élus au conseil d’administration de la Bre-X ; ils seront chargés de tempérer l’appétit de Suharto.
La société bénéficie de 400 millions de dollars de prêts bancaires et ses fondateurs, Walsh, Felderhof et Guzman, sont qualifiés à Toronto de « prospecteurs de l’année ». Pourquoi pas du siècle aussi ? Mais, en 1997, quelques gros actionnaires se décident enfin à vérifier la réalité et l’ampleur du gisement, et envoient à Busang des experts indépendants. Le 26 mars 1997, ceux-ci rendent leur rapport :
Nous avons le regret d’exprimer la ferme opinion qu’aucun gisement d’or susceptible d’exploitation économique n’a été identifié à Busang. […] L’ampleur de la manipulation des échantillons a donné lieu a une falsification sans équivalent dans l’histoire minière mondiale.
Quelques jours plus tôt, le 19 mars, Guzman avait pris l’avion pour joindre Saraminda à Busang, mais il n’était jamais arrivé : il avait, selon le pilote, ouvert la porte en plein vol et s’était jeté dans le vide. Ou peut-être l’y avait-on aidé… La veille, en effet, il avait vendu pour plusieurs millions de dollars de titres, ce qui
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