4 000 ans de mystifications historiques
volontiers à l’expression « le pays de Voltaire ». Elle est à peu près comprise de tout le monde, l’écrivain s’étant illustré dans la défense de la justice, comme l’attestèrent ses plaidoyers pour Jean Calas et le chevalier de La Barre. C’est, comme on disait au Grand Siècle (pour désigner les sièges), une commodité de la conversation.
Un examen des écrits de Voltaire donne toutefois à penser que cette commodité est bancale, voire inappropriée. Le maître de Ferney, en effet, tient une pleine besace de propos sur les juifs qu’on ne tolérerait pas de nos jours chez de moins illustres auteurs : « ramas de brigands », « des fripons et des imbéciles », « troupe de gueux », et la Bible est emplie de « fables de cannibales (17) ».
Et la diatribe est assaisonnée de bonne vieille ironie :
Dieu ayant été leur seul roi très longtemps, et ensuite ayant été leur seul historien, nous devons avoir pour les juifs le respect le plus profond. Il n’y a pas de fripier juif qui ne soit au-dessus de César et d’Alexandre. Comment ne pas se prosterner devant un fripier qui vous prouve que son histoire a été écrite par la Divinité elle-même, tandis que les histoires grecques et romaines ne nous ont été transmises que par des profanes (18) ?
En veut-on davantage ?
Vous ne trouverez en eux [les juifs] qu’un peuple ignorant et barbare qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice [à la] haine pour tous les peuples qui les tolèrent et les enrichissent.
L’ Essai sur les mœurs de 1753 pullule de pareilles sanies qu’on se gardera de reproduire ici une fois de plus. Il a été parfois avancé, en défense de l’une des gloires du siècle des Lumières, que l’antisémitisme de Voltaire aurait été une façon détournée de critiquer le christianisme ; l’argument semble spécieux. D’autres ont avancé que l’antisémitisme était si répandu à l’époque qu’il ne faut pas s’étonner que Voltaire y ait sacrifié ; l’argument n’est guère plus recevable : ni Montesquieu ni Condorcet, pour ne citer qu’eux, ne cédèrent à ce « travers ».
Ces voiles pudiques jetés sur « quelques pages malheureuses » ne suffisent hélas pas à masquer le racisme de Voltaire, qui, toujours avide d’argent – le même trait qu’il imputait aux juifs –, fit de juteuses affaires dans la traite des Noirs. L’omission équivaut dans pareil cas à la falsification, et l’honneur ne perdrait rien à ce que « le pays de Voltaire » devînt « le pays de Montesquieu », par exemple.
Ou bien il n’y aurait aucune raison d’annuler le cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline, comme on l’a vu en 2011.
1774
L’insaisissable mythe du Boston Tea Party
En 2010, des groupuscules républicains se réclamant du Boston Tea Party occupèrent des mois durant les chroniqueurs politiques américains. C’étaient des ultras du parti conservateur, décidés à défendre des valeurs conservatrices, pour ne pas dire réactionnaires, qu’ils jugeaient négligées par les modérés. Leur objectif était de lutter contre ce qu’ils appelaient le Big Government , c’est-à-dire un gouvernement fédéral qu’ils jugeaient envahissant et contraire au principe des libertés, selon eux garanti par la Constitution. Leur agitation mena un déséquilibré à commettre une tuerie à Tucson, ce qui ternit leur réputation. Ils avaient jusqu’alors frappé l’opinion par leur référence à un chapitre célèbre de l’histoire des États-Unis, le Boston Tea Party de 1774, qui fut le point de départ de la guerre d’Indépendance.
Chapitre célèbre, mais si confus que, près de deux siècles et demi plus tard, les historiens américains et anglais ne sont pas parvenus à en donner une image cohérente. Il paraît régulièrement des ouvrages sur le sujet (19) , sans plus d’effet ; c’est bien un mythe, mais on ne sait quel symbole il pourrait bien recouvrir.
Dans le catalogue des mythes, un spécimen sans substance est une rareté.
Les événements sont apparemment simples. En 1761, le gouvernement colonial britannique donna aux douanes, par le Stamp Act (Duties in American Colonies Act), l’autorisation de pénétrer dans les entrepôts et les maisons pour y apposer des timbres sur les denrées d’importation, dont le sucre. Le revenu de cette fiscalité devait renflouer non seulement les douanes, mais aussi l’administration
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