4 000 ans de mystifications historiques
visiter des parents ou des connaissances, et les affaiblissaient jusqu’à la mort en leur suçant le sang. La seule défense contre ces monstres consistait à les déterrer pour leur planter un pieu dans la poitrine ; on les trouvait alors tellement gorgés de sang qu’ils en étaient ballonnés, ce sang dérobé refluant par leurs bouches et leurs oreilles. Le mythe engendra des pratiques redoutables et certainement peu hygiéniques : selon Des Noyers, certaines personnes prélevaient ce sang, le mélangeaient à de la farine et en faisaient un pain censé les protéger contre les attaques des morts vivants.
On désignait ceux-ci sous le nom d’« oupires ». Un demi-siècle plus tard, ce mot d’origine slave acquit son statut actuel grâce à un néologisme de la langue allemande, vampir .
La croyance s’était alors répandue, entraînant des troubles sociaux. Un naturaliste de l’époque, Joseph Pitton de Tournefort, n’y croyait guère ; mais il assista à l’exhumation d’un vampire et rapporta que des familles avaient fui leurs maisons par crainte de ce monstre. Au début du XVIII e siècle, les vampires devinrent une plaie ; il y en eut ainsi une épidémie en Hongrie. Des savants décidèrent d’enquêter sur le phénomène. L’occasion se présenta à Kisiljevo, un village à soixante-quinze kilomètres de Belgrade, où un paysan mort, du nom de Peter Plogojowitz, avait étranglé neuf villageois en une semaine, puis était rentré chez lui et avait demandé ses chaussures à sa femme terrifiée.
On le déterra, en présence des autorités. On trouva un cadavre présentant une apparence de fraîcheur anormale. Et sa bouche était pleine de sang ! Et ses cheveux avaient poussé ! On lui enfonça évidemment le pieu réglementaire dans la poitrine.
L’obsession des vampires ravageait alors l’Europe et frisait le délire. On déterra à qui mieux mieux des cadavres soupçonnés d’être des morts vivants, car ces ignobles créatures contaminaient même des innocents. On trouva un bébé de huit jours qui, au terme de quatre-vingt-dix jours au tombeau, restait aussi frais qu’au premier jour. Il était devenu vampire ! Et un pieu !
En 1749, Dom Augustin Calmet, célèbre exégète biblique, publia un traité sur l’apparition des esprits et sur les vampires ou revenants de Hongrie, Moravie, etc. La même année, le pape Benoît XIV consacra un long texte aux vampires.
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Les guerres et l’instruction publique finirent par affaiblir l’hystérie en imposant aux gens d’autres horreurs. Et l’explication des morts vivants s’imposa elle aussi : tous les cadavres ne se décomposent pas de la même manière ; il en est qui, lividité mise à part, conservent plus longtemps une apparente fraîcheur, en raison de la nature du sol.
Mais le mythe s’était enraciné. En 1925, un criminel de Hanovre fut décapité pour avoir tué vingt-sept adolescents, qu’il avait attirés chez lui pour les mordre à la gorge et boire leur sang. En 1931, un père de famille apparemment paisible se révéla être le « vampire de Düsseldorf » ; il fut convaincu de vingt-neuf meurtres similaires et exécuté lui aussi.
Le 10 août 1949, John Haigh, le « vampire de Londres », fut pendu pour avoir tué neuf personnes dont il voulait boire le sang. Il laissa une lettre dans laquelle il racontait que c’était à dix ans qu’il avait découvert « le goût ineffable » du sang, quand il avait léché une blessure à sa main.
En 1972, le « vampire de Nuremberg » fut arrêté et incarcéré pour des délits innommables : il déterrait des jeunes femmes dans le cimetière de la ville pour leur trancher le cou et boire leur sang. On ne sait ce qu’il buvait, le sang étant alors coagulé, ni comment il échappa à des septicémies fulgurantes.
Tous ces criminels étaient eux-mêmes victimes du mythe ; il les avait vampirisés. Ils s’étaient eux-mêmes mystifiés de la plus lamentable façon. Car les mythes sont toxiques et ni les festivités d’Halloween, désormais fête occidentale, ni l’évidente fiction des films de vampires ne peuvent effacer le souvenir de ceux qui perdirent la vie parce que des esprits faibles y avaient trop cru.
1753
« Le pays de Voltaire »,
douteuse commodité de la conversation
Dès lors qu’il s’agit d’invoquer les vertus du pays où furent proclamés les droits de l’homme, orateurs, pamphlétaires et journalistes recourent
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