4 000 ans de mystifications historiques
dossier. Comment se fait-il alors que celui du procès des Martin l’ait fait ?
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Un examen chronologique des faits indique que les rumeurs concernant les Martin allaient s’enflant depuis de nombreuses années et que leur motif essentiel était l’enrichissement inexpliqué du ménage, sans proportion avec leur activité d’aubergistes. D’où l’invention des crimes qu’on leur attribuait.
Cependant, ni la gendarmerie ni l’administration ne s’en inquiétaient, au contraire : Martin entretenait des relations cordiales avec la gendarmerie. C’était alors sous la première Restauration.
On note également que les bourgeois et les aristocrates de la région témoignaient, eux, de la bienveillance à Martin. Les recherches de l’auteur révèlent que Martin était en rapports amicaux avec la chouannerie ardéchoise, fortement hostile à la Révolution et à l’Empire (la nouvelle de la défaite de Waterloo avait été saluée par l’enthousiasme dans la région).
Soudain, à l’avènement de Louis-Philippe, en 1830, les chefs de l’administration changent et l’attitude de celle-ci à l’égard des Martin change également. Les nouvelles autorités semblent décidées à perdre les Martin, et elles exhument alors ce qu’il faut bien appeler des ragots invérifiables, qui seraient à tout le moins prescrits. Les graves irrégularités de procédure et, plus encore, la disparition des pièces du procès renforcent considérablement le soupçon. Sous la III e République, un scandale compromettant l’institution judiciaire eût été lourdement préjudiciable au pouvoir.
L’évidence s’impose : le procès des Martin n’est pas une affaire criminelle, mais politique.
Quelle en serait la raison ? Au retour des émigrés, dès 1814, Martin, fort des réseaux de la chouannerie, avait été un agent chargé de récupérer des propriétés vendues pour presque rien sous la Révolution ou d’obtenir des compensations de ceux qui les avaient acquises à trop bon prix. En échange de ses services, il percevait une commission ; telle fut l’origine de sa prospérité.
L’Auberge rouge avait été un mythe fabriqué par la vindicte populaire avec la complicité des autorités judiciaires, motivées, elles, par des raisons politiques (24) .
« On condamne une innocente », avait dit Marie Breysse en route vers la guillotine.
1824 et 1836
De l’existence de Napoléon
et de la Monarchie universelle
En 1827, un bibliothécaire d’Agen, Jean-Baptiste Perès, rédigea un mémoire intitulé Comme quoi Napoléon n’a jamais existé, ou grand erratum, source d’un nombre infini d’errata a noter dans l’histoire du XIX e siècle (25) . Pour mémoire, cette année-là, Napoléon était mort depuis six ans et Charles X régnait.
L’auteur prétendait y démontrer – non sans érudition, d’ailleurs – que Napoléon était une fiction, une transposition moderne du mythe d’Apollon, et que son prénom même était une variante à peine déguisée du nom du dieu-soleil, Apoleo , qui signifie « perdre, tuer, exterminer ». Le nom Bonaparte désignait la moitié du jour consacrée à la lumière, la mala parte étant les ténèbres. Buonaparte , c’était la lumière d’Apollon.
Le nom de sa mère, Letizia, était également une invention mythologique, la mère d’Apollon s’appelant Leta.
Les quatre frères symbolisaient les quatre saisons et les trois sœurs, les trois Grâces.
Les douze maréchaux étaient les douze signes du zodiaque.
Le reste du texte, qui tient dans une vingtaine de pages, est de la même farine et l’on reste confondu par l’astuce des analogies et l’extravagance du propos. Le canular dut en faire rire plus d’un.
Mais il en laissa d’autres perplexes. Pourquoi pas, après tout…
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En 1836, quinze ans après la mort de Napoléon, et quatre avant la translation de ses cendres à Paris, Louis Geoffroy, de son nom complet Louis-Napoléon Geoffroy-Château, publia un ouvrage bien plus volumineux et tout aussi déconcertant, intitulé Napoléon apocryphe (1812-1832), Histoire de la conquête du monde et de la Monarchie universelle (26) .
La préface de Jules Richard nous apprend que Louis Geoffroy était juge au tribunal civil de Paris, jurisconsulte et fils d’un chef de bataillon du génie, qui commanda son arme dans la division de Lannes pendant la campagne d’Égypte et dont la valeur attira l’attention du général
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