4 000 ans de mystifications historiques
devenu ministre d’État et garde des Sceaux de l’Araucanie-Patagonie (il avait nommé le poète François Coppée duc en Araucanie) ; mais Antoine II ne régna que deux ans à peine, de 1902 à 1903.
Antoine de Tounens n’avait pas régné effectivement plus d’un an sur les vingt-deux années qu’avait duré son pays virtuel.
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Le défi, sinon le pied de nez infligé aux États voisins et aux grandes puissances par la création de l’Araucanie-Patagonie, suscita une réaction. Les puissances coloniales, et surtout la Grande-Bretagne, s’alarmèrent de ce mauvais exemple. Certains des territoires sous leur juridiction ou leur protectorat pouvaient s’en inspirer pour rejeter leur joug. De surcroît, la malheureuse aventure de l’empereur du Mexique, Maximilien de Habsbourg, fusillé en 1867, avait démontré la vanité des tentatives d’imposer un monarque européen à des populations indigènes lointaines.
Le Chili et l’Argentine portèrent l’affaire sur le plan international et demandèrent l’arbitrage du roi d’Angleterre, George V. Celui-ci conclut à la souveraineté du Chili sur l’Araucanie. La Patagonie ne tarda pas à rentrer dans le giron de l’Argentine.
Le royaume d’Antoine de Tounens avait vécu.
Il y eut certes des héritiers : Laure-Thérèse I re , fille d’Antoine II ; Jacques Antoine III (célèbre éditeur parisien) ; Philippe d’Araucanie-Patagonie…
Et quand on célébra, en 1961, à Tourtoirac, le centenaire de la création du royaume, le conseil général de Dordogne vota des crédits pour l’érection d’un monument. Une cérémonie eut lieu en présence des députés et sénateurs de la région et le ministre de la Culture André Malraux envoya un télégramme pour s’associer à la manifestation. André Maurois, de l’Académie française, prononça une allocution.
Il n’en demeure pas moins que l’épisode de l’Araucanie-Patagonie continue de défier la crédibilité. Il évoque plus un conte fantastique qu’un chapitre d’histoire « vraie ». Le royaume de Tounens n’avait vraiment existé que grâce à l’irrédentisme séculaire des Indiens ; en tant qu’État, il tenait plus de la fiction conçue par un esprit exalté que de la réalité d’un pouvoir.
Mais alors surgit la question : combien d’autres royaumes et d’autres États ne sont-ils pas nés de la mégalomanie de rêveurs, voire de mythomanes ? Ils ne se distinguent des autres que par la chance, c’est-à-dire les circonstances qui ont servi leurs fondateurs.
1871
Quand la Commune voulait négocier la paix avec Bismarck
On chercherait en vain dans la plupart des grands et estimables ouvrages sur la Commune de Paris une mention des rapports singuliers des insurgés avec les Allemands qui assiégeaient Paris. Ils ne peuvent avoir été ignorés, car on en trouve des échos chez les écrivains du temps, de Paul Déroulède à Edmond de Goncourt, et même chez les Allemands. Il faut donc qu’ils aient été censurés. Ils modifient toutefois l’interprétation traditionnelle de ces soixante-douze jours qui contribuèrent à fonder le socialisme français.
Presque tous les ouvrages et manuels d’histoire présentent la Commune comme un chapitre glorieux de l’histoire sociale française et comme un sursaut du prolétariat naissant contre ceux qui n’avaient pas su défendre la patrie. L’origine de l’insurrection avait, en effet, été patriotique. Déjà humilié par la défaite de Sedan, Paris, cerné par les Allemands, avait répondu avec un élan héroïque à l’appel du gouvernement qui ne céderait « ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de notre forteresse ». Le bombardement de la ville en janvier 1871, puis en octobre la capitulation de Metz et la perte du fort du Bourget et surtout l’entrée des Prussiens dans la capitale, le 1 er mars 1871, auraient, selon les manuels, exaspéré les Parisiens. Tel n’est pas le constat de l’historien Georges-Roux (32) :
Le 27 janvier, annonce des pourparlers de Jules Favre [ministre des Affaires étrangères] avec Bismarck. Paris ne bouge pas. Le 28, signature de l’armistice. Paris ne bouge pas. Le 26 février, préliminaires de paix. Paris ne bouge pas. 1 er mars, ratification. Paris ne bouge pas. 2 mars, entrée des Allemands. Paris ne bouge pas. Paris ne bouge que le 18 mars, après la suspension du moratoire des dettes et des loyers, après la suspension de la solde des gardes
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