4 000 ans de mystifications historiques
s’offre à régler elle-même cette somme et demande une entrevue a cet effet.
Par ordre de la Commune, le délégué à la Guerre.
On croit rêver : eût-il été délégué aux Finances que Cluseret aurait peut-être été autorisé à prendre un pareil engagement. Comment il l’aurait tenu est une autre affaire. Mais il n’est que délégué à la Guerre et cet engagement n’est pas de sa compétence. De surcroît, quelle est sa situation vis-à-vis du gouvernement français qu’il cite ? Le reconnaît-il donc comme légitime ?
Cluseret aspire à rencontrer Bismarck ; ce serait son plus grand titre de gloire. Mais il ne traitera qu’avec l’émissaire allemand en France, le général Fabrice. On trouve dans les papiers de Moritz Busch, secrétaire de Bismarck, les informations suivantes, datées du 30 avril 1871 :
J’ai eu, ces jours derniers, entre les mains, un grand nombre de pièces intéressantes. Elles ont trait aux négociations que M. Cluseret, l’actuel général de la Commune, a entamées avec nous. Dans une dépêche télégraphique du 10 courant, notre agent pour Paris, le général Fabrice, a reçu l’ordre de dire au général Cluseret qu’il était prêt à accueillir les ouvertures que la Commune avait exprimé le désir de nous faire et qu’il porterait ces ouvertures à la connaissance du Chancelier. Le 27, Fabrice rapporte que lui et Holstein ont eu une entrevue avec Cluseret et que la Commune de Paris consent à payer à l’Allemagne une somme de 500 millions de francs, dont 300 millions en obligations de la Ville de Paris et le reste sous forme de taxes d’octroi. Le général Cluseret demande en échange que les Allemands prennent l’obligation de n’arrêter aucun convoi de vivres et de ne pas rendre aux Versaillais les forts qu’ils occupent autour de Paris.
Il faut se pincer pour y croire : la Commune proposait donc de gager Paris et les revenus des barrières d’octroi pour payer les dettes du gouvernement provisoire, et elle demandait aux Allemands de la protéger contre les armées de ce dernier. Disons-le d’emblée, ce ne fut pas pour crime de haute trahison que le « général » Cluseret fut démis, mais pour incompétence dans sa gestion des forces de la Commune (incompétence est d’ailleurs un mot fort courtois : Cluseret était un parfait incapable).
De surcroît, rapporte Busch, Cluseret avait pris l’engagement de libérer tous les prisonniers allemands détenus à Paris ; la promesse fut à demi tenue : le 3 mai, rapporte ailleurs Busch, Cluseret fit le tour des prisons de Paris pour faire libérer sur-le-champ tous les prisonniers allemands qui s’y trouveraient.
On comprend que ces détails ne figurent pas dans les ouvrages réputés sur la Commune : ils entacheraient l’image de cette insurrection patriotique et socialiste.
*
Bismarck prit-il au sérieux les propositions de la Commune ? Rien n’est moins sûr, mais il s’en servit néanmoins pour continuer à faire pression sur Thiers et Favre, qui se montraient bien moins commodes que Cluseret dans les pourparlers préliminaires du traité de Francfort ; il les menaçait de traiter avec la Commune. Le 28 avril, il ordonna par télégramme au général Fabrice de garder le contact avec Cluseret. Celui-ci enfin démis, il fut remplacé par un homme à la fois patriote et qualifié, Louis Rossel.
Hommage a été rendu par plusieurs historiens à la probité morale de Rossel ; mais il est à double tranchant, car les termes dans lesquels celui-ci s’adressa aux chefs de la Commune, pour leur signifier sa démission, témoignent de son mépris :
Chargé par vous à titre provisoire de la Délégation à la guerre, je me sens incapable de porter plus longtemps la responsabilité d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit. […] Sachant que la force d’un révolutionnaire ne réside que dans la netteté de la situation, j’ai deux lignes à choisir : briser l’obstacle qui entrave mon action ou me retirer. Je ne briserai pas l’obstacle, car l’obstacle, c’est vous et votre faiblesse : je ne veux pas attenter à la souveraineté publique. Je me retire et j’ai l’honneur de vous demander une cellule à Mazas.
La leçon de rigueur de Rossel ne fut pas entendue. L’ivresse du pouvoir, si illusoire fût-il, l’oubli du devoir patriotique du prolétariat, un machiavélisme de pacotille survivaient dans les rangs de la Commune. Même
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