4 000 ans de mystifications historiques
mystérieux ouvrage et concluait : « Si les Protocoles ont été écrits par les sages de Sion, alors tout ce qui a été entrepris et réalisé contre les juifs est justifié, nécessaire et urgent. » Les méfaits de ce faux commençaient à se manifester.
Toutefois, les 16, 17 et 18 août 1921, le même Times publia une série d’articles de son correspondant Peter Graves. Celui-ci rapportait que, pendant un séjour à Constantinople, il avait acheté à un Russe en exil le livre du révolutionnaire Maurice Joly, paru en 1864, Dialogue aux Enfers entre Machiavel et Montesquieu , et qu’il avait fait la constatation suivante : l’auteur des Protocoles y avait largement puisé. Le sulfureux pamphlet était donc un plagiat. Certains crurent pouvoir respirer.
Mais comme le plagiat avait été commis par un juif, cela n’enlevait rien à son authenticité, clamèrent ceux qui, de plus en plus nombreux, croyaient au texte.
Les traductions commençant à se multiplier, ils furent de plus en plus nombreux ceux qui croyaient, dur comme fer, que le Serpent du peuple juif se faufilait dans les profondeurs des États. Hitler, évidemment, en parla dans Mein Kampf : « Les Protocoles des sages de Sion – que les juifs renient officiellement avec une telle violence – ont montré de façon incomparable combien toute l’existence de ce peuple repose sur un mensonge permanent. »
L’antisémitisme avait trouvé son auge et s’y vautrait. Antisémite véhément, l’industriel Henry Ford décida de l’ouvrir aux Américains : en dépit des doutes qui pesaient sur ce livre, il le fit traduire et éditer à ses frais.
Le III e Reich diffusant les Protocoles à tout-va, sans compter les centres d’actions antisémites, le 26 juin 1933, année de l’accession de Hitler au pouvoir, la Fédération des communautés israélites de Suisse porta plainte devant le tribunal cantonal de Berne pour demander l’interdiction de l’ouvrage en tant que littérature subversive, selon la loi de 1915. Le procès visait les éditions Hammer, qui avaient publié l’ouvrage. De première instance en appel, et d’appel en cassation, le procès dura jusqu’en 1937. Il ne conclut qu’à la falsification et estima les expertises inutiles, puisqu’il s’agissait d’un faux.
Entre-temps ce texte nauséabond a connu sa vie propre : puisqu’il n’avait pas d’auteur, chaque éditeur se crut libre de l’adapter à son public et, dès 1920, on ne comptait plus les variantes d’une édition et d’une traduction l’autre. Il en existe ainsi onze versions arabes différentes. C’est l’exemple le plus abouti et le plus malheureux de l’imposture indélébile. Le fait qu’on le sache faux ne change rien à son succès.
Dans l’un des essais de La Guerre du faux (33) , Umberto Eco forge le concept opportun et plaisant du cogito interruptus pour décrire une avarie de l’esprit, où les processus logiques s’interrompent pour céder la place à un système d’interprétation, non des symboles, mais des symptômes. L’on croit déceler des vérités même dans les mensonges et les faux présages. L’illustration la plus connue en est le dicton passablement frelaté : « Il n’y a pas de fumée sans feu. » Or, l’on peut méprendre de la brume pour de la fumée. C’est par l’une de ces avaries de la logique et du sens commun que les Protocoles ont pris les proportions d’une plaie mondiale. Le phénomène – on tendrait à dire la pathologie – est celle de l’automystification, dont on a vu plus haut quelques exemples et dont quelques autres suivront.
1906
La jeunesse retrouvée grâce à des greffes animales ?
La combinaison délétère, mais hélas commune de la naïveté, de l’ignorance et du mercantilisme engendra, au début du XX e siècle, l’une des mystifications les plus lucratives de l’histoire de la médecine. Elle fit croire à des millions de gens dans le monde qu’il serait possible de remédier aux effets de l’âge et à des pathologies dégénératives grâce à des greffes animales.
La naïveté y retrouvait le mythe des élixirs de jouvence, l’ignorance bravait les lois de la compatibilité génétique et tissulaire, qui n’avaient pas été découvertes, et le mercantilisme exploitait l’une et l’autre.
L’épisode est honteux, aussi les noms de la plupart de ses protagonistes ont-ils disparu des dictionnaires et des encyclopédies. À l’époque, un
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