4 000 ans de mystifications historiques
contraire à l’éthique médicale, et que, dans la plus sévère, il se mystifiait lui-même et, du coup, ses patients. Les deux hypothèses ne s’excluent d’ailleurs pas.
Quand il mourut, exilé en Suisse et désenchanté, ses greffes rajeunissantes étaient totalement déconsidérées.
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Une histoire parallèle s’était entre-temps déroulée aux États-Unis.
En 1918, un aventurier sans aucun diplôme véritable, sinon celui, frauduleux, délivré par une officine de Kansas City, l’Eclectic Médical University, ouvrait à Milford un hôpital de cinquante lits, dont le personnel comprenait six chirurgiens. Il s’appelait John Romulus Brinkley.
« Tenancier » d’une pharmacie, sur la base de permis également frauduleux, Brinkley avait traité un fermier impuissant depuis seize ans en lui greffant des testicules de bouc. L’opéré se déclara ravi par les résultats. La réputation de Brinkley était faite dans l’État. Elle fut la caution de son entreprise. Il facturait sa greffe 750 dollars, somme alors prodigieuse.
En 1923, il créait la première station de radio du Kansas, la KFKB (Kansas’ First Kansas’ Best), sur les ondes de laquelle il diffusait sa science de marchand d’orviétan, traitant des problèmes de « fatigue du mâle » et de déficience glandulaire. Il vendait aussi des médicaments de fantaisie fabriqués par la Milford Drug Co., sa propre compagnie.
L’hôpital de Milford n’eut bientôt plus assez de lits pour les clients qui affluaient (cinquante par jour en moyenne), et il n’y eut plus assez de boucs au Kansas pour en prélever les testicules. En 1930, des révélations de presse interrompirent l’ascension apparemment irrésistible de Brinkley : durant la Prohibition, il avait été un bootlegger , fabricant clandestin d’alcool, et ses diplômes étaient frauduleux : il n’avait pas le droit d’exercer la médecine. Le Board of Medical Examiners, équivalent de l’ordre des médecins de Kansas City, le traita de charlatan et l’État fédéral menaça de révoquer la licence de sa station de radio. En pleine tempête judiciaire et médiatique, Brinkley annonça sa candidature au poste de gouverneur du Kansas. Il fonda une autre radio, XER, de l’autre côté de la frontière mexicaine, et s’installa à Del Rio, au Texas : il y avait ouvert une autre clinique, et celle-ci connut le même afflux. Ce ne fut qu’en 1934 que les autorités locales et fédérales eurent enfin raison des escroqueries de Brinkley. Des patients le poursuivirent en justice et obtinrent des dommages et intérêts pour les séquelles des greffes qu’ils avaient subies. Il avait fait dix fois mieux ou pire que Voronoff : cinq mille greffes de testicules de bouc.
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Nous n’avons évoqué ici que les deux cas les plus notoires de la folie des greffes de testicules d’animaux. Mais Voronoff et Brinkley eurent des imitateurs, fussent-ils moins ambitieux, et l’objet de ces pages n’est pas un historique de cet épisode d’aberrations. La mystification était devenue planétaire et elle fut d’autant plus obstinée qu’elle plongeait ses racines dans une mythification très ancienne. Quinze siècles avant notre ère, les doyens des tribus de Chine et de l’Inde consommaient les testicules d’animaux sauvages pour stimuler leurs énergies et, dans bien d’autres cultures, les prêtres se réservaient ces parties des animaux sacrifiés. Des traces, plus bénignes, de la vertu mythique de ces organes demeurent d’ailleurs dans notre gastronomie.
Bien plus graves sont les conséquences de pratiques « vitalistes » qui furent pratiquées en Afrique jusque fort avant dans le XX e siècle : les scarifications destinées à faire pénétrer du sang de singe dans le corps humain pour le vivifier. Des incisions étaient pratiquées sur la cuisse et l’on y versait du sang de l’animal sacrifié : ce fut l’origine du sida. Car ces ébauches de perfusion contaminaient de la sorte des humains avec un virus animal, le SIV ( Simian Immunodeficiency Virus ). La maladie resta longtemps dormante et localisée, causant une détérioration lente de l’organisme, et fut classée dans les maladies tropicales sous le nom de Wasting Disease . Dans les années 1970, une mutation du virus la rendit à la fois aiguë et mondiale.
Les mystifications exploitent souvent des mythifications, qui peuvent être dangereuses, voire mortelles.
1906 à 1981
Ces hommes d’État qui
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