A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
derrière un portail. A l'intérieur, il fait un peu sombre, mais l'on se sent tout de suite bien. Là habite David Goldblatt, l'un des plus célèbres photographes d'Afrique du Sud, Blanc anglophone, l'un des regards les plus aiguisés et les plus réalistes sur l'apartheid. Denis mon professeur d'anglais me l'avait fait découvrir dans une émission de la BBC intitulée « In black and white », qui lui était consacrée. Il nous emmène tout de suite dans son petit bureau, s'assoit en face de moi, à la même place — je reconnais la pièce et la lumière — que dans l'émission de la BBC. Nous restons là deux heures. La fille de David, avec un bébé dans les bras, nous rejoint. Elle travaille pour l'une des centaines d'organisations non gouvernementales (ONG) qui existent dans le pays. Avant de
partir, nous irons prendre un thé et des gâteaux dans la pièce à côté.
David termine un nouvel ouvrage de photos qui devrait sortir dans quelques mois. Il y travaille depuis près de dix ans. Il nous montre tous les clichés, un par un, près de deux cents au total : des lieux, des monuments afrikaners, des églises de toutes confessions, des townships bien sûr, des vitrines de magasins souillées et refaites à neuf au fil des ans, des pierres, des sables, qui racontent tous, mieux que quiconque, les entrailles d'un pays, la souffrance d'un peuple et l'espoir de lendemains qui chantent. Et qui resteront là, longtemps encore, fichés dans le sol, quand les hommes vieilliront et que les mots s'effaceront. Sous chaque photographie, il veut écrire un texte de deux cents mots pour en expliquer le sens.
Je me souviens très bien de trois d'entre elles : celle, lunaire, d'une cuvette de cabinets blanche dans un terrain vague. Le gouvernement avait voulu déplacer des populations pour les reloger sur un nouveau terrain où l'on avait juste commencé à installer les w.-c. Mais la population avait résisté et n'avait pas déménagé. De cette future township avortée, il ne restait que cette cuvette...
Celle ensuite d'un grand mât en fer au milieu d'une township, avec, au sommet, une grosse lampe pour éclairer les alentours. Très haute dit-on pour éviter d'être atteinte par les jets de pierres. Il paraît qu'il y en a dans chaque township.
Celle d'une plage enfin, avec des pancartes plantées dans le sable, pour délimiter les deux zones : « WHITES ONLY », « NON WHITES ». La séparation, la ligne de partage, allait jusqu'au fond de l'eau...
Mardi, 13 h 30.
La résidence est en fête. Le soleil brille, les rires fusent sur la pelouse du jardin, Nelson Mandela est là. Avec une quarantaine de ses amis, Blancs, Noirs, métis, Indiens. A ma table, il y a Gcina Mhlope, que je suis allée chercher chez elle à Johannesburg en sortant de chez David Goldblatt. Comédienne indépendante, auteur de livres pour enfants, conteuse d'histoires, elle respire le dynamisme. Il y a aussi Njabulo Ndebele, écrivain, auteur du merveilleux Fools, traduit en français, et aujourd'hui recteur de l'université du Nord.
Mandela, Nelson Mandela. Qu'en dire? Grand, droit, digne. Je ne suis pas près d'oublier sa poignée de main sur le pas de la résidence, ni surtout son regard, lourd et profond, qui force le respect et vous regarde encore, même lorsque ses yeux vous quittent...
Mardi, 18 heures.
Retour à Soweto, dans le quartier d'Orlando, résidence d'été de Mgr Desmond Tutu. J'étais allée avec Alain le chercher à l'aéroport, il arrivait de Nairobi. Comme dans les livres, avec son éternelle canne à la main, sa casquette bleu marine, ses éclats de rire et ses bons mots. Il est aujourd'hui « en réserve », mais se montre intarissable sur le passé. Nous montons dans un minibus (un « combi » comme on dit là-bas) qui passe sans doute plus inaperçu dans ce quartier qu'une grosse limousine. Quand nous arrivons chez lui, il y a une panne d'électricité à cause de l'orage qui a humidifié les fils. Seuls les projecteurs des caméras éclairent la pièce. « Dites, vous ne pouvez pas rester toute la nuit ? » lance en plaisantant Mme Tutu à un cameraman.
Mercredi matin, 9 heures.
Cape Town, au pied de la montagne de la Table. Un autre monde, à deux heures d'avion de Pretoria, aux confins de l'océan Indien et de l'océan Atlantique. Vert, très vert. De grandes plages de sable blanc et des maisons luxueuses nichées dans les arbres, cernées de belles piscines, s'étalent le long des eaux. Cela ressemble,
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