A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
étaient toutes très sympathiques, chacune dans son genre : celles déjà fort expérimentées parce que leur mari était ministre depuis dix ans ; celles qui vivaient leurs derniers moments de « femme de ministre » parce que leur mari allait tomber avec leur gouvernement aux prochaines élections (ce serait le cas pour la Grèce), celles qui débarquaient, les petites nouvelles comme moi, puisque Alain, à l'époque, n'était ministre que depuis six mois. Depuis, il n'est plus le benjamin...
Après un déjeuner léger de poissons pour les dames, nous sommes parties en expédition entre spouses. But du voyage : la visite d'un institut de recherches sur la sclérose en plaques, suivie d'un petit tour dans un atelier de céramique. Les autorités belges avaient mis à notre disposition un immense et très confortable bus à deux étages réservé au transport des personnalités. Je ne sais d'ailleurs pas s'il existe, dans le parc automobile gouvernemental français, un véhicule de ce type...
Je me suis installée en haut, et j'ai retrouvé mon excitation de petite fille partant avec ma classe en sortie scolaire... Nous devions toutes avoir cette impression car l'ambiance était plutôt animée et décontractée.
Quand une femme de ministre rencontre une autre femme de ministre, qu'est-ce qu'elles se racontent ? Des histoires de femmes de ministre ? Voire.
Le bus a délié nos langues et nous avons papoté. En anglais principalement, car les participantes le parlaient — et bien — à peu près toutes, en maîtrisant souvent également le français. De la pluie et du beau temps, de nos maris et de nos enfants, de nos occupations et de nos voyages, bref de ces mille et une futilités qui fondent la densité des relations humaines, particulièrement féminines.
J'ai été surprise et heureuse de découvrir que plusieurs réussissaient à combiner leur vie et leurs activités d'épouse avec leur métier de pédiatre, neuropsychiatre, professeur, historienne... tandis que d'autres étaient engagées à fond dans des associations bénévoles. Quitte à jongler avec les emplois du temps. Je suis arrivée sur le « marché des épouses » à une bonne époque, celle d'une
nouvelle génération, décidée à mener et réussir plusieurs vies de front.
Ces femmes de Gymnich, je les reverrai assez souvent, les unes à Athènes, quelque temps plus tard pour un sommet de l'alliance Atlantique, les autres à New York pour l'Assemblée générale des Nations unies, les autres chez elles ou encore à Paris, au cours de « visites bilatérales ».
J'ai reçu quelques semaines plus tard un petit album-photos souvenir de ce week-end à Hasselt, envoyé par notre hôtesse, l'épouse du ministre des Affaires étrangères belge. Je le garde précieusement avec d'autres, pour mes petits-enfants...
Sur le fond, que penser de l'utilité de ces réunions ? Sans doute est-ce une bonne idée de faire se connaître un peu mieux des personnalités qui tiennent entre leurs mains les fils du monde et ne se croisent en général qu'entre deux avions, dans un bureau ou au cours d'un repas officiel. On en apprend finalement beaucoup plus sur la psychologie de l'autre en l'écoutant jouer du piano qu'au cours d'un petit déjeuner de travail.
La nuit était tombée. Il était huit heures et demie. Nous étions conviés à écouter un mini-concert de violon et violoncelle. Le
ministre belge s'est mis au piano. J'ai découvert, en l'écoutant, sa sensibilité. Les bougies brûlaient dans les candélabres et je regardais les visages tout à coup silencieux. Certains fermaient les yeux pour mieux ressentir la musique, ou somnolaient carrément, d'autres susurraient des mots à l'oreille de leur compagne. Un grand calme, une atmosphère quasi religieuse planaient... Et dehors, dans la nuit qui enveloppait lentement ce petit havre de paix, une bonne dizaine de cars de CRS allaient faire le guet jusqu'à la rosée du lendemain matin, pour protéger les moments d'intimité de quelques grands de ce monde.
L'Europe des jours et des lunes. Combien de sommets, combien de conseils, combien de réunions à deux ? Quatre, six ou douze pendant tous ces mois.
L'Europe chronophage. Combien d'aller et retour pour Bruxelles ou Genève... Combien de rendez-vous inscrits encore sur l'agenda européen, presque jusqu'en l'an 2000 ?
L'Europe chômage. Sans âme et sans abris.
L'Europe décalage. Impression diffuse au long de ces jours, d'un gouffre insondable
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