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À La Grâce De Marseille

À La Grâce De Marseille

Titel: À La Grâce De Marseille Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: James Welch
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fussent très chers car importés d’Afrique ou des pays du sud du Levant. Madeleine lui reprochait de les acheter pour les jeter à la fin du marché, mais René savait que c’étaient ces petites touches – comme mettre en valeur les rascasses sur un lit de glace ou arranger les crevettes de manière à ce qu’elles semblent déborder d’une corne d’abondance en osier – qui accrochaient l’œil des clientes. Quand il s’agissait d’attirer le chaland, il ne restait pas les bras croisés. Les femmes, qui constituaient la grande majorité de sa pratique, appréciaient particulièrement ses efforts.
    Lorsque René et Charging Elk atteignirent la rampe de pierre au pied du quai des Belges, une douzaine de bateaux étaient déjà arrivés au port, que les pêcheurs commençaient de décharger. Les hommes, emmitouflés dans des vestes de laine et coiffés de casquettes, portaient des pantalons en toile cirée et des bottes. La plupart remontaient en silence la rampe, les bras chargés de caisses de bois. René eut une petite moue accompagnée d’un soupir. Depuis vingt-cinq ans qu’il les fréquentait, il avait appris à connaître les pêcheurs. Quand ils parlaient fort et plaisantaient, cela signifiait que les bateaux regorgeaient de poisson. Quand ils demeuraient pensifs et parlaient à voix relativement basse, c’était que la pêche avait été moyenne, plutôt décevante, sans toutefois être catastrophique. Et quand, comme maintenant, ils se taisaient, cela voulait dire qu’ils avaient pris si peu de poisson qu’ils s’inquiétaient pour leurs familles, leurs bateaux, leurs moyens d’existence.
    René, suivi à quelques pas par Charging Elk, consacra quelques minutes à examiner le contenu des caisses, puis il porta son regard vers la mer et, entre les rangées de canots et de yachts amarrés, il aperçut d’autres bateaux de pêche qui, voiles déjà affalées, rentraient au port, se laissant glisser sur leur erre. Il cherchait à en repérer un en particulier, un bâtiment plus grand que les autres, La Martine, qui s’éloignait davantage de la côte et ramenait les plus gros poissons de même que les plus importantes quantités de sardines. Il ne semblait pas être là, ce qui n’avait rien de surprenant dans la mesure où il restait parfois en mer deux ou trois jours d’affilée.
    « Il n’y a rien », dit un homme mince et assez jeune. Il avait un manteau boutonné jusqu’au col et les bras serrés contre lui pour se réchauffer. Ses lunettes à monture de fer brillaient à la lueur d’un réverbère. « Moins que rien, reprit-il. Ça ne pourrait pas être pire. »
    René le connaissait. Il achetait le poisson pour une demi-douzaine des meilleurs restaurants autour du port, y compris le sien où il officiait en tant que chef cuisinier. Ni les pêcheurs ni les marchands de poisson ne l’aimaient à cause du mépris qu’il affichait pour leur travail. Quand la pêche avait été bonne, il se plaignait de la qualité des poissons, et quand la pêche avait été mauvaise, il mettait en doute la qualité professionnelle des pêcheurs. Ceux-ci, néanmoins, lui réservaient le meilleur de leur pêche. Voir son poisson finir sur les tables des plus grands restaurants de Marseille était un honneur, sans compter la publicité qu’on en retirait. Les marchands, pour leur part, lui en voulaient de ne pas se servir chez eux à l’instar des autres restaurateurs.
    « Mais si, monsieur Breteuil, ça va s’améliorer, dit René, se demandant s’il le pensait réellement. Janvier a toujours été le mois le plus mauvais, surtout pour les crustacés. Vous verrez, dès que le mistral cessera et que la mer commencera à se réchauffer, ça ira mieux. »
    Breteuil paraissait regarder un point situé derrière René. « Qu’est-ce que c’est ? » fit-il d’une voix soudain radoucie et un peu hésitante.
    René se retourna. Il ne vit que Charging Elk et les autres marchands de poisson. Plusieurs charrettes étaient garées le long du trottoir, et les chevaux attelés entre les brancards avaient la tête plongée dans leurs sacs d’avoine. François s’avançait vers eux, les paniers en équilibre sur l’épaule. Il n’y avait rien qui sortît de l’ordinaire. Quand il reporta son attention sur Breteuil, il s’aperçut que celui-ci, en fait, fixait l’Indien.
    « Mon nouvel employé », annonça René avec un sourire tendu qui découvrit ses dents du bas et l’espace vide

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