A l'écoute du temps

une
grimace de déception. Durant tout le mois de décembre, il n'avait pas cessé de
parler de la montre Timex qu'il désirait avoir comme étrennes.
     
    Ensuite, ce fut
au tour des parents de recevoir des étrennes. Les enfants avaient tous
participé, selon leurs ressources, aux achats. Laurette tira d'un emballage
rouge une robe de chambre bleue en flanelle.
     
    j — Avec ça,
m'man, vous allez avoir chaud tout l'hiver, art Gilles, heureux de constater la
joie de sa mère dont les traits s'illuminèrent à la vue de son cadeau.
     
    Le père de
famille reçut un briquet et un mince porte- cigarette au fini argenté.
     
    — Vous êtes pas
raisonnables, les enfants! s'exclama Gérard, content du cadeau qu'ils venaient de
lui offrir.
     
    — Bon. On a fini
d'ouvrir les cadeaux, dit Laurette sur un ton décidé. On ramasse les papiers et
on les jette dans la fournaise. Allez porter vos cadeaux dans votre chambre
pendant que je coupe les tourtières. Traînez pas sinon vous allez manger froid.
     
    Gilles et Richard
entrèrent dans leur chambre en même temps que Jean-Louis pénétrait dans la
sienne. Richard ne put se retenir d'asticoter un peu son frère aîné en le
voyant 277 ranger son écharpe et ses gants dans l'un des tiroirs de sa commode.
     
    — Pendant que j'y
pense, sais-tu que ce serait le l'an de voir les factures des cadeaux qu'on a
donnés à p'pa et à m'man, dit-il à Gilles en train de ranger sous le lit ses
souliers neufs.
     
    — Pourquoi tu dis
ça?
     
    — Ben. Ils ont
été achetés chez Dupuis. Je suis pas sûr pantoute que notre frère a payé sa
part. Ça me surprendrait même pas qu'il ait fait de l'argent sur notre dos. Tu
le connais. Il est assez gratteux.
     
    — Mon petit
maudit baveux! s'emporta Jean-Louis debout au fond de sa chambre. Tu sauras que
j'ai payé plus que toi dans ces cadeaux-là.
     
    — Ouais, ouais!
Mais on n'a pas de preuve de ça, nous autres! ricana Richard en s'empressant de
se diriger vers la porte dans l'intention de regagner au plus vite la cuisine
pour se mettre à l'abri de la taloche que son frère s'apprêtait à lui
administrer.
     
    — Tout le monde à
table! cria Laurette en déposa une assiette devant son mari.
     
    Tous les enfants,
mis en appétit par les odeurs alléchantes en provenance de la cuisine,
s'empressèrent de prendre place autour de la table. Aidée par Denise, la mère
de famille mettait dans chaque assiette une pleine louche de ragoût, des pommes
de terre et un morceau de pâté à la viande.
     
     
     
    — Est-ce que ce
sont les tourtières de madame Paquin ou les vôtres? demanda Gilles à sa mère.
     
    — Est-ce qu'elle
est bonne?
     
    — Ben oui, m'man,
répondit l'adolescent avec conviction.
     
    — Dans ce cas-là,
ce sont les miennes, rétorqua sèchement sa mère. Ceux qui en veulent un autre
278 LA VOITURE D'ARMAND morceau, il en reste un peu, mais je vous avertis que
j'en ferai pas réchauffer d'autres. Il faut que j'en garde pour la visite de
demain soir.
     
    — Ça va être ben
assez, m'man, la rassura Denise. Il y a aussi des tartes.
     
    Pendant plusieurs
minutes, il n'y eut plus dans la cuisine que des bruits de fourchettes heurtant
des assiettes et des «Miam!» de plaisir. Les Morin se concentraient sur la
dégustation de ce festin qui n'avait lieu qu'une fois par année. Au-dessus de
leur tête, à l'étage, on repoussait bruyamment des chaises sur le parquet. La
famille du chauffeur de taxi était probablement occupée à festoyer, elle aussi.
     
    Il était près de
deux heures trente quand Laurette remarqua que tous avaient fini de manger et
que certains commençaient à bâiller.
     
    — On va laisser
faire la vaisselle, annonça-t-elle. On la fera demain matin, en se levant.
Donnez-moi juste un coup de main à défaire la table et on va aller se coucher.
     
    La table fut
nettoyée en un tour de main. Pendant que la mère de famille mettait le chaudron
de ragoût sur le balcon, Denise essuyait la nappe plastifiée. Gérard éteignit
les lumières de l'arbre de Noël avant d'aller ajouter la moitié d'un seau de
charbon dans la fournaise.
     
    — Je pense qu'on
va laisser le poêle à l'huile chauffer toute la nuit en plus de la fournaise,
dit-il aux siens en regardant la glace épaisse qui couvrait les vitres de la
fenêtre de la cuisine.
     
    — S'il y en a qui
se lèvent avant nous autres, demain matin, qu'ils fassent pas trop de bruit en
lavant la vaisselle du réveillon, recommanda