A l'écoute du temps

Laurette avec un sourire las avant
d'éteindre le plafonnier de la cuisine.
     
    Avec cette
dernière remarque, elle était certaine que les lève-tôt y penseraient à deux
fois avant de se lever.
     
    279 Après un
coucher aussi tardif, personne ne s'éveilla avant neuf heures le matin de Noël.
Quand la mère de famille parut dans la cuisine, enveloppée dans sa nouvelle
robe de chambre bleue, elle découvrit son mari en train de finir de laver la
vaisselle du réveillon alors que ses deux plus jeunes fils l'essuyaient.
     
    — Si tu veux
boire un café, il y en a sur le poêle, lui offrit Gérard en lui tendant une
tasse.
     
    — Ah ben, bonyeu!
s'exclama-t-elle en feignant la stupéfaction. Il va falloir faire un «X»
quelque part pour que je me souvienne avoir vu les hommes de la maison faire la
vaisselle.
     
    — Aie, m'man!
Exagérez pas, fit Richard. Ça nous est déjà arrivé de la faire.
     
    — Ah oui! Quand?
L'adolescent fouilla sa mémoire pour retrouver une occasion où il avait déjà
fait ce travail pendant que sa mère se versait une tasse de café et allumait sa
première cigarette de la journée. Il finit par renoncer.
     
    — En tout cas,
vous êtes ben fins d'avoir lavé la vaisselle, reprit Laurette d'une voix encore
ensommeillée.
     
    Je crois ben que
j'ai trop mangé au réveillon. Je me suis endormie seulement à quatre heures du
matin.
     
    — Il y a pas à
dire, tu vas être en forme pour recevoir tes frères, lui fit remarquer Gérard.
Tu pourras même pas aller t'étendre une heure cet après-midi avant qu'ils
arrivent. Tu les connais. À deux heures, ils vont être ici dedans.
     
    — Je le sais,
reconnut Laurette, sans aucun enthousiasme.
     
    Elle prit le
temps de siroter son café avant d'aller faire sa toilette et de s'habiller.
Denise et Carole vinrent 280 LA VOITURE D'ARMAND déjeuner un peu plus tard
avant d'aller mettre un peu d'ordre dans leur chambre. Quand Laurette revint
dans la cuisine, son mari était au téléphone en train de souhaiter un joyeux
Noël à sa mère. Il répéta ensuite ses voeux à sa soeur et à son beau-frère.
     
    — J'espère qu'ils
ont pas trop insisté pour qu'on aille les voir aujourd'hui? fît Laurette,
sarcastique, quand son mari eut raccroché.
     
    — C'est pas le
temps d'aller là, dit Gérard. Ils sont en plein barda. Il paraît que toute la
maison est à l'envers. Le déménagement approche.
     
    — On sait ben.
C'est jamais le temps d'aller là, répliqua Laurette, acide. Je pense que la
dernière fois qu'on est allés là, c'était l'hiver passé et on n'est même pas
restés une heure. Ça a tout pris pour qu'ils nous offrent une chaise pour nous
asseoir.
     
    Gérard choisit de
ne rien ajouter. Il se contenta d'allumer la radio pour écouter les
informations.
     
    Cet
après-midi-là, il était à peine deux heures quand la porte d'entrée s'ouvrit
avec fracas sur un Gilles tout excité.
     
    — Veux-tu ben me
dire, bout de viarge! ce que t'as à t'énerver comme ça! s'écria sa mère qui
s'apprêtait à aller faire une petite sieste, même si elle redoutait l'arrivée
hâtive de ses invités.
     
    — Mon oncle
Armand vient d'arriver, s'écria l'adolescent.
     
    — Maudit verrat!
Ils arrivent ben de bonne heure! fit Laurette avec mauvaise humeur. J'aurai
même pas le temps de m'étendre cinq minutes. Quand on les invite à souper, ils
devraient comprendre que c'est pas pour passer la journée.
     
    — M'man, mon
oncle a un char à cette heure!
     
    — Hein! Voyons
donc! dit Laurette, incrédule.
     
    281
     
    — Je vous le dis.
Il est passé devant la porte. Il chauffait un gros char bleu. Il a continué sur
Archambault. Quand il m'a vu, il a baissé sa vitre et il m'a dit qu'il revenait
tout de suite.
     
    — Ah ben, on aura
tout vu! Armand qui a un char à cette heure, fit sa mère en se précipitant vers
le rideau qui masquait la fenêtre de la porte. T'as entendu ça, Gérard?
     
    — Pourquoi pas.
Ça fait des années qu'il arrête pas de dire qu'il fait un bon salaire chez
Molson.
     
    — À quoi ça va
lui servir? Il travaille tout près. Il a juste un petit char à prendre tous les
matins et il débarque à la porte de Molson. Tiens, les voilà.
     
    Une grosse Dodge
1939 venait de s'arrêter devant la porte.
     
    — Je connais rien
aux chars, dit-elle à son mari, mais on dirait ben que celui de mon frère est
pas mal vieux, non?
     
    — On le dirait,
acquiesça Gérard.
     
    Laurette vit sa
belle-soeur