A l'écoute du temps
s'installa derrière le volant de sa voiture et
attendit que son passager ait pris place à ses côtés après avoir ouvert la
porte du garage pour démarrer. L'imposante Buick noire venait à peine de
s'immobiliser au coin des rues Fullum et Sainte-Catherine que l'abbé Laverdière
aperçut Richard Morin, attendant de toute évidence le tramway au coin de la
rue.
— Monsieur le
curé, c'est un de nos servants de messe, dit le vicaire. Vous pensez pas qu'on
pourrait l'embarquer.
Je trouve qu'il
fait pitié à attendre comme ça, en pleine tempête.
— Mon auto est
pas un tramway, l'abbé! protesta son supérieur.
— Voyons,
monsieur le curé, un geste de charité chrétienne, insista l'abbé Laverdière, un
peu moqueur.
Damien Perreault
fit un véritable effort pour ne pas laisser éclater sa colère. Il freina et
laissa l'abbé baisser la glace de sa portière pour inviter l'adolescent à
monter à l'arrière.
— Secoue tes
pieds avant de monter, lui ordonna le curé en tournant à peine la tête vers
lui.
— Merci, monsieur
le curé, dit Richard, intimidé de se retrouver assis à l'arrière d'une voiture
aussi luxueuse.
299 Le conducteur
embraya et reprit la route pendant que l'abbé Laverdière se tournait à demi
vers le passager pour lui demander où il allait.
— Chez Dupuis,
monsieur l'abbé.
— On peut dire
que t'es chanceux que monsieur le curé te laisse monter dans sa belle voiture,
reprit l'abbé sur un ton plaisant. Tu vas pouvoir raconter ça à tout le monde.
Damien Perreault
n'ouvrit pas une seule fois la bouche durant tout le trajet. Depuis le départ
du presbytère, les conditions routières avaient singulièrement empiré.
La neige s'était
intensifiée, poussée par un fort vent. La conduite automobile était devenue des
plus hasardeuse.
Le conducteur,
les mains rivées sur son volant, avait beaucoup de mal à garder le contrôle sur
la chaussée devenue extrêmement glissante. Il lui fallait surtout se méfier des
usagers des tramways qui devaient s'avancer dans la rue pour emprunter ce moyen
de transport. Il ne les apercevait souvent qu'à la dernière seconde.
Finalement, le
curé de la paroisse Saint-Vincent-de- Paul parvint à laisser Richard devant le
magasin Dupuis avant de poursuivre son chemin jusqu'à l'archevêché.
Bref, à cause de
la circulation n'avançant qu'au ralenti, l'abbé Laverdière n'arriva à son
rendez-vous qu'avec deux minutes d'avance. Lorsqu'il mit le pied à terre, avant
de refermer la portière, il demanda à son curé, avec son impudence coutumière:
— Est-ce que vous
allez m'attendre, monsieur le curé?
— Non, l'abbé.
J'ai autre chose à faire. Les tramways sont pas faits pour les chiens. Fermez
donc la porte avant qu'il y ait de la neige partout dans ma voiture.
Sur ces mots,
l'ecclésiastique embraya et reprit tant bien que mal sa place dans le flot très
lent de la circulation.
300 LE TEMPS DES
FÊTES L'abbé Laverdière ne revint au presbytère qu'un peu avant l'heure du
souper. Après avoir enlevé son manteau et ses bottes, il alla retrouver Yvon Dufour
qui s'était, encore une fois, réfugié dans le salon pour lire son bréviaire.
Ce dernier
regarda son confrère avec curiosité sans toutefois oser lui demander la raison
de sa convocation à l'archevêché.
René Laverdière
se laissa tomber dans l'un des fauteuils en se frottant les mains pour les
réchauffer.
— T'as pas eu
trop de difficulté à revenir de l'archevêché? lui demanda le jeune vicaire.
— Pas trop. Comme
me l'a dit notre cher curé, les tramways sont pas faits pour les chiens, fit son
confrère, sur un ton sarcastique.
— J'espère que
c'était pas de trop mauvaises nouvelles? demanda Yvon Dufour, incapable de
contenir plus longtemps sa curiosité.
— Oui et non. On
m'a offert un poste de professeur de latin dans un collège.
— Puis?
— T'imagines tout
de même pas que j'étais pour accepter ça, fit l'abbé Laverdière, moqueur.
J'aime bien mieux demeurer vicaire ici. Au moins, je sers à améliorer le
caractère de notre curé.
La tempête fit
rage toute la journée et, en début de soirée, la ville de Montréal était
pratiquement paralysée par la vingtaine de pouces de neige tombée en quelques
heures. Quand Gérard rentra à la maison après sa journée de travail, il trouva
Gilles et Carole occupés à jouer
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