A l'écoute du temps

Peut-être, mais
c'était une belle tradition pareil, avait conclu un Gérard Morin étrangement
ému à cette évocation.
     
    À la fin de la
soirée, les gens s'étaient quittés après s'être offert leurs meilleurs voeux et
ils étaient rentrés chez eux aux petites heures du matin.
     
    Le matin du jour
de l'An, au retour de la messe, Gérard téléphona à sa mère et à sa soeur et à
son beau-frère pour leur souhaiter une bonne année. Colombe et Rosaire
l'avaient alors invité, un peu du bout des lèvres, à venir les visiter
l'après-midi même en compagnie de Laurette, en précisant bien qu'ils
regrettaient de ne pouvoir les recevoir avec leurs enfants à cause de leur
appartement encombré de boîtes.
     
    Quand Gérard lui
fit part de l'invitation, sa femme fut loin d'être contente.
     
    — Comme ça, les
enfants sont même pas invités! fit-elle furieuse. Et tu trouves ça normal?
     
    — Veux-tu arrêter
de monter sur tes grands chevaux! s'exclama Gérard. Leur maison est toute à
l'envers. Ils sont en plein déménagement. Il me semble que c'est facile à
comprendre.
     
    — En tout cas, on
va faire ça vite, annonça Laurette sur un ton décidé. Je laisserai pas mes
enfants tout seuls toute la journée du jour de l'An, même si c'est pour faire
plaisir à ta famille.
     
    — C'est pas
grave, m'man, on est capables de s'arranger tout seuls, la rassura Richard, qui
avait assisté à toute la scène. C'est sûr que le temps nous paraîtrait moins
long si 307 vous nous laissez une bouteille de liqueur et un gros sac de chips.
     
    Gilles et Carole
hochèrent la tête pour faire comprendre à leur mère qu'ils approuvaient ce que
leur frère venait de dire.
     
    — C'est correct.
Vous pouvez prendre la dernière bouteille de Kik et le gros sac de chips qui
sont dans l'armoire, mais passez pas l'après-midi à vous bourrer comme des
cochons dans les chips, les prévint leur mère.
     
    — On risque pas
d'être ben malades juste avec un sac pour nous trois, m'man, lui fit remarquer
Richard, moqueur.
     
    — Toi,
l'effronté, t'es mieux de pas me taper trop sur les nerfs, le menaça Laurette.
     
    Richard s'esquiva
prudemment vers sa chambre.
     
    Après le dîner,
Laurette ne consentit à partir qu'après avoir supervisé la toilette et le
maquillage de Denise, prête bien avant deux heures, heure à laquelle Serge lui
avait promis de venir la chercher.
     
    — J'ai rien de
beau à me mettre, se plaignit la jeune fille en entrant dans la cuisine, vêtue
d'une jupe noire et d'un chemisier turquoise.
     
    — C'est du linge
presque neuf que t'as sur le dos, la tança sa mère. Après tout, tu t'en vas pas
chez la reine d'Angleterre. Puis, attache ton dernier bouton, t'as l'air toute
dépoitraillée arrangée comme ça.
     
    — A part ça, je
trouve que mes cheveux sont pas beaux, ajouta Denise, visiblement énervée par
la perspective d'être présentée aux parents de Serge Dubuc.
     
    — Je vois pas ce
que tu reproches à tes cheveux. T'as un beau page boy. Tes cheveux sont
corrects, mais tu t'es mis un peu trop de rouge à lèvres.
     
    La jeune fille
retraita dans sa chambre pour aller vérifier dans le miroir le bien-fondé de la
remarque 308 LE TEMPS DES FÊTES maternelle. Laurette ne s'occupa plus de son
aînée.
     
    Elle tourna
plutôt son attention vers les plus jeunes en endossant son manteau.
     
    — Mettez-moi pas
la maison à l'envers pendant qu'on n'est pas là, avertit la mère de famille, sévère.
On sera pas partis plus que deux heures. On va être revenus pour souper. À
quatre heures, Carole, épluche des patates et fais-les cuire. On va finir de
manger la dinde pour souper.
     
    Sur ces mots,
Laurette quitta l'appartement à la suite de son mari.
     
    — Maudit qu'on
gèle! dit-elle avec mauvaise humeur en relevant le collet de son manteau en
drap au moment où elle posait le pied à l'extérieur. Il me semble que Rosaire
aurait pu venir nous chercher avec son gros char.
     
    Pour lui, c'est
une affaire d'une dizaine de minutes de partir du boulevard Saint-Joseph
jusqu'à chez nous. Pour nous autres, il va nous falloir au moins une heure en
petits chars pour aller là.
     
    Après une assez
longue attente coin Fullum et Sainte- Catherine, le couple monta dans un
tramway mal chauffé qui le déposa au coin de Papineau. Il prit une
correspondance qui les laissa sur le boulevard Saint-Joseph.
     
    Après quelques
minutes de marche, Gérard sonna enfin à la porte de