A l'écoute du temps

encore capable d'être utile
dans une maison.
     
    Laurette ne
s'opposa pas à ce que sa belle-mère l'aide.
     
    Si elle était
pour demeurer à la maison durant les deux prochaines semaines, elle n'avait pas
l'intention de lui servir de bonne. Par ailleurs, elle guetta les réactions de
la vieille dame devant l'assiette qu'elle lui avait servie: des 351 CHERE
LAURETTE pommes de terre et deux boulettes de boeuf haché noyées dans une sauce
brune. Elle en fut pour ses frais parce que la mère de son mari mangea le
contenu de son assiette sans manifester la moindre répugnance. Le repas se prit
dans un silence relatif et les langues ne se délièrent qu'au moment du dessert.
     
    — Vous devez
trouver ça pas mal plus beau chez mon oncle Rosaire que chez nous, mémère?
demanda Richard.
     
    — Grand-mère, le
reprit l'aïeule en lui adressant un regard mécontent.
     
    — Grand-mère,
répéta docilement l'adolescent.
     
    — C'est juste
plus grand, répondit diplomatiquement l'aïeule. Ton oncle et ta tante ont pas
d'enfant et, naturellement, il y a plus de place pour bouger. Ça va être encore
mieux dans leur maison neuve. Ils vont vivre dans un grand six et demi et, en
plus, ils vont avoir un sous-sol fini.
     
    — Ils sont ben
chanceux, laissa échapper Denise, l'air rêveur.
     
    Elle se rappelait
encore la maison neuve des parents de Serge.
     
    — Comme ça, vous
avez vu leur nouvelle maison, madame Morin? demanda Laurette, curieuse. Est-ce
qu'elle est si grosse que ça?
     
    — Rosaire et
Colombe m'ont emmenée une demi-douzaine de fois la voir pendant la
construction. J'y suis encore allée avant-hier. C'est une bien belle maison
avec la façade toute en pierre. Rosaire a fait installer de grandes fenêtres
dans les chambres et des baies vitrées dans le salon et la cuisine. Ça va leur
faire un appartement clair et surtout bien chauffé avec des calorifères à eau
chaude. Ils vont avoir trois grandes chambres, un salon, une cuisine et ime
salle à manger.
     
    352 L'ARRIVÉE DE
GRAND-MÈRE Laurette piqua un fard, envieuse de la chance qu'avait sa
belle-soeur de s'installer dans une maison neuve luxueuse, dans un beau
quartier où il n'y avait pas toutes ces odeurs d'usine.
     
    — Ça doit leur
coûter un bras pour faire construire cette maison-là? intervint Gérard.
     
    — Pas loin de
quinze mille dollars, confirma sa mère.
     
    — Quinze mille
piastres! répéta Laurette, sidérée par l'énormité de la somme.
     
    — Il faut pas
oublier non plus que ça va être une maison à revenus. Rosaire s'en vante pas,
mais il fait pas mal d'argent, ajouta sa belle-mère en tournant la tête vers
elle.
     
    — Bah! Il s'en
vante pas, madame Morin, mais il s'en cache pas non plus, lui fit-elle
remarquer sur un ton aigre.
     
    Il y a juste à le
voir avec son gros char en train de fumer son cigare. Il y a personne qui va
imaginer en le voyant qu'il attend la Saint-Vincent-de-Paul pour manger.
     
    — Peut-être,
Laurette, mais vous saurez qu'il vole pas son argent. Il travaille tard tous
les soirs et le téléphone arrête pas de sonner à la maison quand il est là.
Rosaire est pas mal ambitieux et je vous garantis qu'il compte pas ses heures
d'ouvrage pour avoir une belle vie. Colombe est bien chanceuse d'être tombée
sur un aussi bon garçon.
     
    — C'est certain
qu'on n'arrive pas là où il est en se contentant d'un petit salaire, dit
Laurette en jetant un regard noir à son mari qui fit comme s'il n'avait rien
entendu.
     
    — Ça empêche pas
que, malgré tout ça, Colombe et Rosaire sont pas tout à fait heureux, reprit la
vieille dame sur un ton confidentiel. Ils ont pas d'enfants. C'est la croix
qu'ils doivent porter tous les deux. La vie est bien mal faite. S'ils en
avaient, ils auraient largement les moyens de les faire vivre et de les faire
instruire. Rosaire m'a déjà 353 dit qu'il aurait aimé avoir un garçon pour en
faire un avocat. Il aurait été prêt à lui payer un cours classique et
l'université.
     
    — C'est sûr que
sans enfant... commença à dire Gérard.
     
    —... sans enfant,
le coupa sa mère, tu travailles toute une vie pour rien. A qui vas-tu laisser
tout ce que t'as amassé? A des étrangers?
     
    — Déjà six heures
et quart! s'exclama Denise en se levant précipitamment. Il faudrait ben faire
la vaisselle, m'man, avant que Serge arrive.
     
    — Ben oui. Avec
tout ça, j'allais oublier que tu reçois à soir.
     
    — Serge? demanda
la