A l'écoute du temps

dessous le balcon, ils
rient de vous autres à vous voir vous chamailler. Toi, lâche le, ordonna-t-il à
Jean-Louis, qui s'empressa de s'exécuter.
     
    Richard, va-t'en
dans ta chambre et que je t'entende plus.
     
    — Mais p'pa,
il...
     
    — Je t'ai dit,
dans ta chambre! répéta son père en élevant un peu plus la voix.
     
    L'adolescent, en
sous-vêtement et torse nu, s'empressa d'obtempérer et se précipita vers son
lit. Jean-Louis ferma les persiennes qu'il assujettit avec un crochet.
Satisfait 46 UN VENDREDI SOIR d'avoir rétabli la paix, le père de famille
retourna s'asseoir sur le balcon sans ajouter un mot. À l'instant où elle
s'apprêtait à suivre son mari, Laurette crut apercevoir quelque chose sous le
lit de la pièce voisine. Elle s'avança de quelques pas et se pencha un peu.
     
    — Qu'est-ce qui
traîne en dessous du lit? demandât- elle aux deux occupants de la seconde
chambre.
     
    Gilles ne leva
pas le nez de sa bande dessinée, persuadé que la question s'adressait à son
jeune frère.
     
    — Aie! C'est à
toi aussi que je parle! fit sa mère en haussant le ton.
     
    — Quoi? Qu'est-ce
qu'il y a?
     
    — Lâche ton
maudit livre et sors-moi ce qui traîne en dessous de ton lit.
     
    Richard ne
broncha pas. Après avoir poussé un soupir d'exaspération, Gilles abandonna son
Tintin, quitta son lit et se mit en devoir de tirer de sous le lit un imposant
assortiment de vêtements sales mêlés à de vieux journaux et à des bouts de bois
de différentes longueurs.
     
    — C'est à qui,
ces cochonneries-là? demanda Laurette sur un ton accusateur.
     
    — Comme si vous
le saviez pas, m'man, intervint Jean- Louis d'une voix fielleuse.
     
    Gilles ne dit
rien et reprit place dans son lit pendant que son jeune frère adressait un
regard assassin à son aîné.
     
    — Je veux que ce
tas-là disparaisse avant que les lumières s'éteignent, vous m'entendez? Si je
retrouve une seule traînerie dans votre chambre demain matin, j'en connais un
qui va avoir une claque sur une oreille. C'est clair? Sur ce, Laurette quitta
la chambre et alla rejoindre son mari sur le balcon. Richard sortit de son lit
et se mit à effectuer un tri dans le tas constitué par Gilles. Il prit ses
vêtements sales et les jeta dans la vieille laveuse Beatty rangée dans une
encoignure de la pièce. Ensuite, il 47 tenta d'enfouir les autres objets dans
l'un des deux tiroirs de la commode dont il partageait l'usage avec Gilles.
     
    Malgré tous ses
efforts, il ne parvint pas à tout y mettre.
     
    Pendant un
instant, il songea à glisser quelques-uns de ses trésors récupérés dans l'un
des tiroirs de son frère, mais ce dernier s'en serait vite aperçu le lendemain
matin et les aurait probablement jetés avant qu'il ait la possibilité
d'intervenir.
     
    Gilles dut
deviner le cours de ses pensées parce qu'il lui dit soudainement:
     
    — Si t'as pas de
place, va en porter dans la cave.
     
    — T'es pas
malade, toi! s'exclama son frère. Les rats vont les manger.
     
    — C'est ça ou la
poubelle, intervint Jean-Louis, occupé à tailler sa fine moustache devant un
petit miroir.
     
    — Toi, le stool,
mêle-toi de tes maudites affaires, le rabroua Richard avec humeur.
     
    Finalement, le
tas disparut et le cadet des frères Morin reprit place dans le lit. Lorsque
Gilles éteignit, le plafonnier quelques minutes plus tard, Richard lui murmura
à l'oreille:
     
    — Tu vas voir
comment le grand tata va se lever de bonne humeur demain matin.
     
    — Qu'est-ce que
t'as encore fait? chuchota Gilles.
     
    — Laisse faire.
Tu vas voir.
     
    Lorsque
Jean-Louis éteignit à son tour la lumière de sa chambre, Richard attendit
plusieurs minutes avant de se lever. Il sortit de la pièce sans faire de bruit
et alla dans la cuisine. Il ouvrit la porte menant à la cave et fouilla dans un
sac suspendu à un clou. Il revint ensuite dans la chambre sur le bout des
pieds. Malgré l'obscurité, il se glissa dans la chambre de son frère aîné sur
le lit duquel il déposa quelque chose. Lorsqu'il reprit sa place à côté de
Gilles, il eut du mal à retenir un gloussement de satisfaction.
     
    48 UN VENDREDI
SOIR Une heure plus tôt, le gérant du magasin Woolworth, Antoine Beaudry, avait
quitté la caisse pour aller verrouiller la porte du magasin. À l'extérieur, les
passants se faisaient plus rares, même si on était un vendredi soir. La pluie
semblait avoir chassé les moins braves. Les violentes averses du début de