A l'écoute du temps
se diriger vers la cuisine. Il entra dans la pièce au moment même où sa
mère y pénétrait dans l'intention de préparer le déjeuner de Jean-Louis. Comme
tous les samedis, les autres membres de la famille ne se lèveraient qu'une
heure plus tard.
— Qu'est-ce que
tu fais debout si de bonne heure? lui demanda sa mère, apparemment peu
enchantée de le voir venir troubler un déjeuner qu'elle s'apprêtait à prendre
en tête à tête avec son aîné.
— Comment
voulez-vous que je donne avec le cadran que le grand tata a laissé sonner
pendant au moins cinq minutes? fit Richard en essayant de discipliner ses
cheveux du bout des doigts.
— C'est pas de sa
faute, ton frère dort comme une souche.
— En tout cas,
j'ai faim, déclara l'adolescent en prenant place à table.
— Je vais faire
de la soupane dans cinq minutes, annonça Laurette en ouvrant la porte du
garde-manger.
— OK, m'man.
Enveloppée dans
sa vieille robe de chambre en chenille rose et la tête toujours emprisonnée
dans une résille retenant ses bigoudis, Laurette déposa la boîte rouge et noir
de gruau Quaker sur le comptoir. Au lieu de sortir 56 UN COMMENTAIRE
DÉSOBLIGEANT une marmite, elle préféra pousser la porte moustiquaire et sortir
un instant sur le balcon arrière. Elle y resta à peine une minute avant de
rentrer.
— Ça va être une
belle journée, déclara-t-elle comme pour elle-même. Il fait frais et il y a pas
un nuage. Ça, c'est ce que j'appelle un beau samedi.
Richard, assis à
un bout de la table de cuisine, ne dit rien. Sa mère avait son humeur joyeuse
du samedi, sa journée préférée de la semaine. Il la vit préparer le gruau sans
même consulter la recette tant elle était habituée de le faire trois ou quatre
fois par semaine.
La porte de la
chambre de Jean-Louis s'ouvrit et le jeune homme entra à son tour dans la
cuisine en traînant les pieds et en affichant une mine de papier mâché.
— Mon Dieu! T'as
pas l'air dans ton assiette à matin, dit sa mère à mi-voix pour ne pas
réveiller les autres membres de la famille encore au lit.
— Je sais pas ce
que j'ai, dit le jeune homme. J'ai mal au coeur. J'ai une senteur écoeurante
dans le nez. C'est comme si j'avais dormi toute la nuit à côté d'un rat mort.
— Va te raser et
te laver, ça va te faire du bien, lui conseilla sa mère, compatissante. En
attendant, je vais te faire cuire deux oeufs avec des toasts.
— Faites pas ça,
m'man. J'ai pas faim pantoute.
Toujours assis à
la table de cuisine, Richard réprima avec peine un sourire de triomphe.
— S'il veut pas
de ses oeufs, je peux les manger à sa place, moi, offrit-il, alléché.
— J'en ferai pas
cuire si ton frère en veut pas, trancha Laurette. Je suis pas pour commencer à
dépenser une douzaine d'oeufs tous les matins pour le déjeuner. Ça coûte trop
cher.
L'adolescent eut
du mal à réprimer son envie de crier à l'injustice. Il parvint à se contenir et
se leva de table en annonçant: 57
— D'abord, je
vais aller m'habiller pendant que le gruau cuit.
— C'est ça et
essaye de pas réveiller tout le monde.
Richard retourna
dans sa chambre, partagé entre la joie de s'être vengé et la colère de ne pas
jouir des mêmes privilèges que son grand frère. Il s'habilla en faisant
suffisamment de bruit pour réveiller Gilles, qui finit par sortir la tête de
sous son oreiller.
— Il est quelle
heure? demanda-t-il à son cadet en se grattant le cuir chevelu.
— Sept heures et
quart.
— Le grand a fini
par se lever? demanda-t-il en tournant la tête vers le lit vide de Jean-Louis,
dans la pièce voisine.
— Ouais, opina
Richard avec un grand sourire. Tu devrais lui voir la face à matin. Je te dis
qu'il est pas beau à voir. Il a mal au coeur, le chouchou à sa moman.
— Comment ça?
— Ben. Peut-être
parce qu'il a passé la nuit à renifler mes vieux bas sales?
— Hein!
— Hier soir, j'ai
attendu qu'il donne et je suis allé accrocher mes bas sales à la tête de son
lit, expliqua Richard. Comme il dort dur, il s'est pas réveillé de la nuit et
il a pu les sentir à son goût toute la nuit.
— Ah! Je viens de
comprendre, c'était ça la senteur de charogne qui m'a donné mal au coeur quand
je me suis réveillé.
— Exagère pas,
protesta son jeune frère. C'était juste mes bas sales.
— En tout cas,
c'est grave ce que
Weitere Kostenlose Bücher