A l'écoute du temps
mauve qui est là, ajouta-t-il en lui montrant un
guéridon dans un coin de la pièce.
— Oui, monsieur
l'abbé.
— Avant de
partir, prends le billet que j'ai signé pour l'école et traîne pas trop en
chemin.
Heureux de ne pas
être suspecté, l'adolescent se dépêcha d'enlever surplis et soutane et endossa
son manteau. Il salua le vicaire et quitta les lieux, le coeur battant,
impatient de compter l'argent qu'il avait enfoui dans l'une de ses poches.
Il sortit de
l'église, traversa la rue Sainte-Catherine et attendit d'être rendu devant la
maison-mère des soeurs de la Providence pour s'arrêter. Il déposa entre ses
pieds son sac d'école et, après avoir jeté un regard circulaire pour s'assurer
de ne pas être épié, il extirpa les dollars volés de la poche de son pantalon.
Il était sûr d'avoir pris au moins l'un des dix dollars qu'il avait vus dans
l'assiette et peut-être même un ou deux cinq dollars. Il exhuma d'abord trois
billets de un dollar tout froissés qu'il prit la peine de lisser avant de
replonger la main dans ses goussets.
Il sortit ensuite
deux billets de cinq dollars, puis deux de deux dollars. Il eut beau replonger
la main pour explorer le fond de sa poche, cette dernière était désespérément
vide.
— Bâtard!
jura-t-il, mécontent. J'ai même pas pris un des dix piastres.
Il compta et
recompta le fruit de son larcin, il arrivait toujours au total peu
impressionnant de dix-sept dollars.
Au lieu de se
réjouir de posséder une telle somme, il se sentait frustré et se disait qu'il
aurait pu facilement en prendre presque le double sans que personne ne s'en 43°
rende compte. Finalement, un peu dépité, il roula les billets de banque et les
remit dans sa poche, cherchant déjà l'endroit où il pourrait bien les cacher en
attendant d'avoir l'occasion de les dépenser.
Il entra dans
l'école en empruntant l'escalier de la façade. Comme la porte d'entrée était
verrouillée, il dut sonner pour se faire ouvrir. L'adjoint le fit entrer. Il
lui présenta son billet. Ce dernier le regarda à peine avant de lui ordonner:
— Dépêche-toi de
rejoindre ta classe. La récréation est finie depuis dix minutes. A l'heure
qu'il est, t'as pas dû courir bien fort pour t'en venir à l'école.
Richard ne
répondit rien et se dépêcha de quitter le hall d'entrée pour rejoindre son
local de classe. Un peu avant midi, il retourna à la maison pour dîner. Avant
le repas, il se glissa dans sa chambre pendant que son frère Gilles était allé
chercher du charbon dans la cave et il dissimula son argent dans une paire de
vieilles chaussettes, dans l'un des deux tiroirs où ses vêtements étaient
rangés. Il ne garda qu'un dollar dans ses poches dans l'intention d'acheter un
paquet de cigarettes Player's à la fin de l'après-midi. Il se réjouissait
d'avance de pouvoir enfin fumer sans avoir à quêter une cigarette à Gilles ou à
guetter le moment où il pourrait en voler une à sa mère.
Cet
après-midi-là, après la classe, il fit un large détour pour se procurer ses
cigarettes et se donner le temps d'en savourer une sans craindre de rencontrer
une connaissance.
A son retour à la
maison, il eut la surprise d'y voir son père, assis dans sa chaise berçante. Il
avait le visage blême et buvait une boisson chaude en grimaçant.
— Bonjour p'pa,
dit l'adolescent en enlevant son manteau. Vous avez fini pas mal de bonne heure
aujourd'hui.
43!
— Achale pas ton
père, lui ordonna Laurette. Il file pas ben. Toi, comment ça se fait que
t'arrives aussi tard de l'école? Il est passé quatre heures et demie.
— Il a fallu que
je reste un peu après les autres. Nantel voulait que j'écrive tout ce que j'ai
manqué à matin, mentit aisément Richard.
— Monsieur
Nantel, effronté! Bon. À cette heure, grouille-toi. Installe-toi à côté de
Carole et commence tout de suite tes devoirs. T'as le temps avant de souper.
— Moi, je pense
que je vais aller m'étendre une heure, annonça le père de famille en se levant
péniblement de sa chaise. J'ai le frisson.
Laurette jeta un
regard inquiet à son mari avant de se remettre à préparer le souper. Elle
allait servir de la fricassée de porc confectionnée avec les restes d'un rôti.
Lorsque Denise et
Jean-Louis rentrèrent du travail, les trois écoliers rangèrent leur matériel
scolaire et on mit la table. La mère de famille quitta la cuisine
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