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A l'écoute du temps

A l'écoute du temps

Titel: A l'écoute du temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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sur un ton sans appel. T'as
même pas soupe hier soir.
     
    Gérard ne se
donna pas la peine de répliquer. Il remplit un bol à main avec la bouilloire
remplie d'eau chaude et disparut dans la salle de bain. Quand il revint dans la
pièce après avoir fait sa toilette, il s'assit à table et mangea deux rôties
sans aucun appétit. Au moment où le père de famille quittait la maison, les
premières lueurs de l'aube apparaissaient dans le ciel.
     
    À huit heures,
Laurette se retrouva seule dans l'appartement, comme tous les matins de la
semaine. Elle entreprit alors de remettre la maison en ordre, mais sans
beaucoup d'entrain. Elle aussi avait mal dormi parce que Gérard n'avait pas
cessé de bouger et de tousser à ses côtés durant toute la nuit. Une heure plus
tard, elle sortit son panier de vêtements à repriser en poussant un soupir
excédé.
     
    — Regarde-moi ça,
dit-elle à haute voix en tendant devant elle le vieux chandail de laine brune
de Gilles maintes fois reprisé. C'est juste bon à faire des guenilles.
     
    Elle s'assit
lourdement dans sa chaise berçante et entreprit de repriser le trou qu'elle
avait repéré à un coude du vêtement. Elle tira ensuite deux chaussettes de
laine grise de son panier. Elles appartenaient à Richard.
     
    — Veux-tu ben me
dire ce qu'il fait avec ses bas, lui, pour les user aussi vite? demanda la mère
de famille, toujours à haute voix.
     
    L'une des
chaussettes était si usée qu'elle renonça à la réparer. Elle se rappela soudain
que son fils en possédait une paire identique qu'elle avait maintes fois
reprisée depuis le début de l'hiver. Elle se leva et se dirigea vers la chambre
des garçons dans l'intention de trouver l'autre paire de chaussettes grises
dans l'un des tiroirs de Richard. Elle désirait ne garder que les deux meilleures
435 chaussettes. Les deux autres, trop souvent reprisées, seraient conservées
pour faire reluire le linoléum de la cuisine après l'avoir ciré.
     
    La mère de
famille trouva immédiatement la paire recherchée. Lorsqu'elle sépara les deux
chaussettes roulées ensemble, elle eut la surprise de découvrir une petite
liasse de dollars.
     
    — Qu'est-ce que
c'est que cette affaire-là? s'exclama Laurette en se mettant à compter la somme
qu'elle étala sur le bureau. Seize piastres! D'où est-ce que ça vient, cet
argent-là? Pendant un moment, la mère de famille se demanda si son fils ne
l'avait pas pris dans son porte-monnaie. Puis, à l'instant où elle esquissait
le geste d'aller vérifier, elle s'arrêta brusquement. Cela n'avait aucun sens.
Elle ne possédait même pas une telle somme au milieu du mois.
     
    Elle avait dû
payer le loyer et le charbon dont il avait fallu commander une autre tonne pour
finir l'hiver. Il lui restait moins de cinq dollars pour le reste de la
semaine.
     
    Laurette,
pensive, mit l'argent dans la poche de son tablier, referma le tiroir et revint
poursuivre son travail dans la cuisine. Durant tout l'avant-midi, elle se
tortura l'esprit à essayer de deviner où son garçon avait bien pu se procurer
une telle somme.
     
    Cet argent ne
pouvait pas provenir de ses économies de servant de messe; il dépensait
pratiquement tout en articles scolaires et en cochonneries, comme elle lui
disait souvent. De son travail à la pharmacie durant le mois de décembre? Non.
Elle lui avait pris alors la plus grande partie de ses gains pour l'achat de
vêtements et le reste avait servi aux étrennes de Noël qu'il avait offertes à
ses parents. L'avait-il volé à Jean-Louis? Impossible. Ce dernier surveillait
de trop près son bas de laine pour se laisser voler le moindre dollar. À
Denise? L'argent qu'elle 436 lui laissait après avoir payé sa pension servait
intégralement à s'offrir des produits de beauté, le cinéma et des
romans-photos. Non, franchement, elle ne voyait pas d'où venait cette somme.
Mais elle allait le savoir... et pas plus tard que le midi même.
     
    Lorsque les
enfants revinrent de l'école pour dîner, la mère de famille se retint pour ne
pas s'en prendre immédiatement à Richard. Elle laissa ses deux fils et sa fille
retirer leur manteau.
     
    — Qu'est-ce qu'on
mange à midi, m'man? demanda Gilles.
     
    — Vous allez vous
faire des sandwichs au Paris-pâté et je vais vous servir un bol de soupe aux
pois.
     
    Du coin de
l'oeil, elle vit Richard se diriger vers sa chambre, mais elle ne dit rien.
L'adolescent sortit de la pièce moins d'une minute plus tard et

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