A l'écoute du temps
s'assit à table
en adressant à son frère un regard furieux. Laurette en devina la raison, mais
se garda bien de dire un mot. Dès que Carole eut disposé les couverts sur la
table, la mère servit la soupe et mangea en compagnie de ses enfants. La
dernière bouchée avalée, ces derniers s'empressèrent de laisser leur vaisselle
sale dans l'évier et se préparèrent à partir pour l'école.
Quand Richard fit
mine de se précipiter vers son manteau, sa mère l'arrêta.
— Toi, attends
une minute, lui ordonna-t-elle sur un ton sans appel, j'ai à te parler.
— Je vais être en
retard à l'école, plaida l'adolescent, surtout impatient d'interroger son frère
sur ce qu'il avait fait de son magot.
— Je t'ai dit
d'attendre! répéta-t-elle en élevant la voix.
L'air sévère de
sa mère alerta suffisamment Richard pour qu'il cessât d'insister. Il regarda
Gilles quitter l'appartement, suivi de près par Carole qu'une amie 437
attendait déjà devant la porte. L'adolescent, debout devant la table de
cuisine, était fébrile. Il se mit à pianoter sur le meuble en poussant des
soupirs d'exaspération. Sa mère s'avança vers lui et tira de sa poche les
billets de banque froissés qu'elle jeta sur la table.
— D'où est-ce que
ça vient, cet argent-là?
— Vous avez pas
le droit dé fouiller dans mes affaires! protesta-t-il, rouge d'indignation.
— Je t'ai demandé
d'où ça venait? insista Laurette d'une voix dure.
— Ben, je l'ai
gagné.
— Où ça? Quand?
— Ben, chez
Charland, cette affaire.
— Richard Morin,
prends-moi pas pour une valise! L'argent de la pharmacie a servi aux cadeaux de
Noël. Toi-même, tu nous as dit que t'avais plus une cenne au mois de janvier.
— Il y a aussi
l'argent des messes.
— C'est pas vrai,
maudit menteur! s'emporta sa mère.
Tu sers la messe
une semaine sur trois. C'est pas ça qui t'a donné seize piastres. D'où est-ce
que ça sort?
— Ben...
— Tu l'as volé
quelque part! Ça, c'est sûr, dit sa mère d'une voix tonnante. Où ça?
— Je l'ai pas
volé, m'man!
— Où est-ce que
tu l'as pris? Grouille-toi de me répondre. Si tu me dis pas la vérité tout de
suite, c'est ton père qui va s'occuper de toi à soir et je te garantis que tu
t'en sortiras pas facilement. Tu le connais. Quand il se fâche, c'est pas beau
à voir.
Il y eut un bref
silence dans la cuisine des Morin, silence à peine troublé par le bruit des
tisons de charbon qui tombaient dans le bac de récupération placé sous la
grille de la fournaise. L'adolescent, le visage soudain très 438 pâle, semblait
soupeser le pour et le contre d'un aveu.
Son père n'était
pas violent, mais si sa mère lui disait que son fils méritait une correction,
il en aurait une dont il se souviendrait longtemps.
— Puis? demanda
sa mère sur un ton hargneux.
Richard finit par
se décider. Il recula d'abord d'un pas de l'autre côté de la table pour se
mettre hors de portée de la main de sa mère.
— Je l'ai pris à
l'église, balbutia-t-il.
— Hein? Où ça, à
l'église?
— Dans l'assiette
de la quête.
— Quand?
— Hier matin. Il
y avait plein de piastres dans l'assiette.
J'en ai pris
juste un peu pour que ça paraisse pas, expliqua Richard. Personne s'en est
aperçu, osa-t-il ajouter.
Le visage de
Laurette rougit de fureur en entendant ces mots. L'adolescent ne fut pas assez
rapide pour éviter sa mère. Cette dernière contourna la table, l'attrapa par
une épaule, le fit pivoter sur lui-même et lui assena une gifle si puissante
qu'il en vit des étoiles.
— Maudit voleur!
J'ai élevé un maudit voleur! s'écria Laurette hors d'elle-même, en lui
décochant une seconde gifle aussi violente qui fit pratiquement plier les
genoux au coupable et lui mit les larmes aux yeux.
— Ayoye! cria ce
dernier en portant les mains à son visage sur lequel se dessinait clairement
l'empreinte des cinq doigts de la main maternelle.
— Si je
m'écoutais, je t'étranglerais sur place, mon maudit bum! s'écria Laurette en
faisant un effort surhumain pour reprendre le contrôle d'elle-même. Combien
t'as volé?
— Ce qui est sur
la table, mentit l'adolescent en s'éloignant prudemment de sa mère.
— Il manque rien?
439
— Non. Rien,
mentit encore Richard en taisant le fait qu'il manquait un dollar.
Sa mère scruta
son visage pour
Weitere Kostenlose Bücher