A l'écoute du temps
vicaire.
— Oui, monsieur
l'abbé.
— Dis-toi que
c'est la même chose qu'une messe ordinaire. Les seules différences sont que tu
passes devant moi en portant la croix. Nous suivrons le cercueil jusqu'en
avant. Tu planteras la croix dans le repose-croix à l'avant du choeur avant de
venir tenir le bénitier pendant que j'aspergerai le cercueil avec le goupillon.
Avant l'offertoire, c'est toi qui passes l'assiette pour la quête parce que,
pendant la semaine, il y a pas de marguilliers pour le faire.
T'as bien compris
ce que tu as à faire? 427
— Oui, monsieur
l'abbé.
Le défunt devait
sûrement appartenir à une grande famille ou avoir eu de nombreux amis parce que
l'église était remplie aux deux tiers quand, porteur de la croix, Richard Morin
précéda l'abbé Laverdière à l'arrière du temple pour accueillir la dépouille.
Quatre employés de la maison funéraire Godin déposèrent le cercueil sur le
chariot et le couvrirent d'un drap noir avant de le pousser lentement vers
l'avant en empruntant l'allée centrale.
Après la
bénédiction du corps, l'adolescent accompagna le célébrant à l'autel pour la
célébration de la messe.
Avant l'offertoire,
Richard quitta discrètement le pied de l'autel et traversa le choeur. Un peu
intimidé d'être l'objet de l'attention d'une assistance aussi nombreuse, il
s'empressa d'ouvrir le portillon de la sainte table après avoir pris l'assiette
déposée sur cette dernière. Il entreprit ensuite de la tendre aux fidèles
occupant chaque banc. S'il y eut beaucoup de vingt-cinq cents jetés dans la
sébile, il y eut aussi plusieurs billets de banque, à la plus grande
stupéfaction de l'adolescent. Le servant de messe n'avait jamais vu tant
d'argent entassé devant lui. Après avoir passé dans toutes les allées, il
revint lentement vers le choeur, attentif à ne pas laisser échapper de billets,
tant l'assiette débordait.
Pendant tout le
trajet de retour vers l'avant de l'église, les idées se bousculèrent dans sa
tête. Pourquoi ne pourrait-il pas s'approprier quelques billets? Qui s'en
apercevrait? Personne ne les avait comptés. Plus il approchait du choeur, plus
il devenait fébrile. La crainte de ne pouvoir rien avoir de cette manne qu'il
transportait le faisait presque trembler. Ce n'est qu'en arrivant dans le
choeur que l'idée lui vint qu'il ne pouvait décemment laisser l'assiette
remplie de tant d'argent à l'endroit où il l'avait prise. Dans quelques
minutes, les fidèles 428 allaient venir s'agenouiller devant la sainte table
pour communier.
Alors, sans
perdre un instant, Richard se dirigea vers la gauche de l'autel et poussa la
porte de communication qui donnait accès à la sacristie. Après avoir jeté un
bref coup d'oeil autour de lui pour s'assurer que le bedeau n'était pas dans
les parages, il prit une poignée de billets de banque qu'il fourra
précipitamment dans l'une des poches de son pantalon. Il déposa ensuite
l'assiette à l'endroit où l'abbé Laverdière s'était habillé pour la cérémonie
quelques minutes auparavant.
A son retour au
pied de l'autel, le célébrant se tourna à demi vers lui pour lui signifier
qu'il était temps de lui apporter les burettes. Le reste de la cérémonie se
déroula comme dans un rêve pour l'adolescent. Il ne cessa de penser à l'argent
qu'il avait dérobé et il tentait d'imaginer le montant de la somme qu'il
s'était appropriée. Il n'avait pas le moindre remords. S'il avait un peu plus
chaud que d'habitude, ce n'était qu'en songeant à ce qui lui serait arrivé si
on l'avait pris à voler... Mais ce n'était pas arrivé et il n'avait qu'une
hâte, c'était que le service funèbre prenne fin.
Lorsque le
vicaire eut béni une dernière fois le défunt après avoir recommandé son âme à
Dieu, Richard fit une génuflexion en même temps que le prêtre et il le précéda
dans la sacristie.
— Qu'est-ce que
t'as fait de la quête? demanda l'abbé Laverdière en retirant la chape noire qui
lui recouvrait les épaules.
— Elle est devant
vous, monsieur l'abbé, répondit le servant d'une voix un peu chevrotante.
Le vicaire n'eut
qu'un bref regard pour l'assiette déposée sur le coin de la longue table sur
laquelle il déposait ses vêtements sacerdotaux.
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— T'as bien fait
de l'apporter dans la sacristie, dit le prêtre, mais la prochaine fois, fais
comme les marguilliers.
Vide l'assiette
dans la poche de velours
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