A l'écoute du temps

quelques minutes avant Jean-Louis et Denise.
     
    Au moment de
retirer son manteau, l'homme de quarante et un ans fut secoué par une quinte de
toux 479 irrépressible si violente qu'elle le fit presque plier en deux.
     
    En l'entendant,
sa femme, en train de transformer les pommes de terre en purée, leva la tête,
et un pli d'inquiétude lui barra le front.
     
    Quand Gérard
s'assit dans sa chaise berçante, l'air épuisé, Laurette revint à la charge
encore une fois.
     
    — Ça a pas
d'allure de tousser comme ça. Tu devrais aller voir le docteur Miron.
     
    — Laisse-moi
tranquille avec ça. Je suis pas malade, répliqua Gérard. C'est juste ma maudite
grippe qui veut pas finir.
     
    — T'as l'air au
bout du rouleau, Gérard, reprit Laurette sur un ton raisonnable. Le docteur
Miron te mangera pas.
     
    Il va juste te
donner un tonique pour te remonter.
     
    — C'est ça, fit
son mari, sarcastique. Comme si on avait de l'argent à garrocher par les
fenêtres. Ça va se replacer, je te dis.
     
    — C'est ça, tout
seul, sans rien faire, ajouta sa femme.
     
    — Si je pouvais
au moins dormir une nuit complète sans me réveiller dix fois en toussant, se
plaignit Gérard.
     
    Le beau temps va
revenir. Il va finir par faire plus chaud.
     
    Ça va partir,
conclut son mari en laissant percer un peu d'espoir dans sa voix, comme s'il
cherchait à se persuader.
     
    — Ben, on le
dirait pas à regarder ce qui tombe dehors.
     
    Laurette secoua
la tête, renonçant momentanément à le convaincre de consulter leur médecin de
famille. Elle finit d'écraser ses pommes de terre avec son pilon et sortit une
poêle dans laquelle elle mit à cuire du boeuf haché mêlé à des oignons.
Aussitôt, une odeur appétissante envahit la pièce.
     
    — Bon. Ramassez
vos affaires, on va souper dans cinq minutes, dit-elle aux trois écoliers en
train de faire leurs devoirs.
     
    480 Puis, elle se
rappela soudain leurs paroles prononcées durant le dîner.
     
    — Pendant qu'on y
est, Richard et Gilles, venez donc me montrer votre bulletin. J'ai vu celui de
votre soeur, mais pas les vôtres.
     
    Gérard leva les
yeux au-dessus de La Presse qu'il venait d'ouvrir devant lui.
     
    — Puis?
demanda-t-il.
     
    — Carole est pas
trop pire ce mois-ci. Ses notes ont augmenté un peu.
     
    — Parfait.
     
    Gilles tira son
bulletin des pages d'un cahier et le tendit à sa mère. Laurette consulta la note.
     
    —
Quatre-vingt-deux! s'exclama-t-elle. Mais c'est encore mieux que le dernier,
fit-elle remarquer, fière de son fils. T'as vu ça, Gérard? Il est encore en
haut de quatre-vingts.
     
    — Oui, mais je
suis juste troisième de la classe, dit l'adolescent. J'ai juste le petit bouton
rond ce mois-ci, ajouta-t-il en montrant l'épinglette qu'on remettait au
troisième de chaque classe à l'école Champlain.
     
    — C'est pas
important, ça, lui dit son père. L'important, c'est d'avoir des bonnes notes.
     
    Pendant qu'il
parlait, il vit sa femme se lever avec le bulletin de son fils dans les mains
et se placer directement sous le plafonnier, les sourcils froncés.
     
    — Qu'est-ce qu'il
y a? lui demanda Gérard.
     
     
     
    — Il y a quelque
chose d'écrit sur la ligne des commentaires, mais son maître écrit tellement
petit que j'arrive pas à lire ce qui est écrit.
     
    Gérard tendit la
main pour prendre le bulletin.
     
    — C'est écrit:
«Félicitations! J'espère que tu continueras en huitième année. Tu as du
talent.» Mais c'est pas écrit si petit que ça, lui fit remarquer Gérard.
     
    481 Laurette ne
releva pas le commentaire de son mari et se tourna vers Richard.
     
    — Et le tien? Il
y eut un instant de flottement.
     
    — Viens surtout
pas me raconter que tu l'as oublié à l'école, dit sa mère sur un ton menaçant.
     
    Un ricanement
sarcastique de Jean-Louis lui valut un regard sévère de son père. Richard
sortit son bulletin de son sac d'école et le tendit à sa mère. Il y eut un
moment de silence dans la pièce, silence à peine brisé par Denise qui avait
commencé à sortir la vaisselle de l'armoire pour l'apporter sur la table.
     
    — Mais c'est pas
vrai! s'écria Laurette. C'est quoi ce bulletin-là?
     
    — Qu'est-ce qu'il
y a? demanda Gérard, surpris par l'éclat de sa femme.
     
    — Sais-tu quelle
note ton gars a pour ce mois-ci? lui demanda-t-elle.
     
    — Non.
     
    — Cinquante et
un! Cinquante et un! Il avait soixante-dix dans son dernier bulletin!
     
    — Comment ça