A l'écoute du temps
grand enthousiasme, trop préoccupée par la santé
de Gérard pour s'intéresser à autre chose.
À la fin de
l'avant-midi, les écoliers rentrèrent à l'appartement.
Contrairement à
son habitude, Richard se taisait, la mine sombre. Il mangeait ses sandwichs au
baloney sans taquiner personne. Cette humeur n'était pas le résultat de sa
récente peine d'amour. Pas du tout. Il avait même totalement oublié ses projets
de vengeance. Quelques jours plus tard, son amour transi s'était transformé en
un autre sentiment ressemblant passablement à une indifférence légèrement
teintée de mépris à l'égard de celle qui l'avait trahi. Non, la raison était
tout autre.
Louis Nantel
avait remis les relevés de notes au début de l'avant-midi et la moyenne
générale de Richard avait glissé à cinquante et un pour cent. Ce soir, il
n'aurait pas le choix. Il allait devoir affronter la tempête. Comme si ce
n'était pas suffisant, l'adolescent était tiraillé depuis le matin par une
folle envie de fumer. Il avait été incapable de se procurer la moindre
cigarette auprès de ses copains.
477 Gilles
lui-même n'en avait plus. Pour son plus grand dépit, son frère lui avait avoué
en acheter de moins en moins pour avoir un peu plus d'argent de poche quand il
amenait son amie Nicole boire une boisson gazeuse au restaurant.
Pour tout
arranger, sa mère n'avait pas eu le temps de confectionner ses cigarettes pour
la semaine et elle traînait son étui contenant ses dernières cigarettes dans la
poche de son tablier. Comment lui en «emprunter» une ou deux dans ces
conditions. Si encore il avait eu un peu d'argent, il aurait pu en acheter
quelques-unes à des grands de l'école, mais son oncle Rosaire avait décidé de
ne lui verser son salaire qu'une fois par mois pour d'obscures raisons de
trésorerie. Il ne toucherait donc sa première paye que quelques jours plus
tard.
— Qu'est-ce que
t'as à avoir une tête de chien battu, toi? lui demanda sa mère qui avait
remarqué son silence inhabituel.
— J'ai rien. Il y
a des gars à l'école qui disent qu'on n'aura pas d'école cet après-midi à cause
de la tempête, ajouta-t-il pour détourner la conversation.
— Arrête donc,
Richard Morin, lui ordonna sa mère.
Depuis quand
l'école ferme quand il tombe un peu de neige. C'est jamais arrivé.
— Ben, ça
pourrait arriver, rétorqua son fils. C'est dangereux de traverser
Sainte-Catherine et De Montigny quand il neige comme ça. On voit pas les chars
arriver.
— Ce qui est
dangereux, c'est de se laisser tirer par un char, intervint sa soeur. J'en ai
vu faire ça sur la rue Fullum, après l'école.
Richard jeta un
regard noir à sa soeur pour l'inciter à se taire, croyant qu'elle l'avait vu
poser ce geste dangereux dénoncé et puni sévèrement à de multiples reprises
depuis le début de l'hiver par la direction de l'école Champlain.
478 DES LUNETTES
— Ça prend des
maudits innocents de faire une affaire comme ça, décréta sa mère. Que j'en voie
jamais un de vous autres faire ça, les menaça-t-elle.
— Voyons, m'man,
protesta Richard. On n'est pas niaiseux à ce point-là.
A la fin de
l'après-midi, la neige n'avait toujours pas cessé. Le chasse-neige était déjà
passé dans un bruit assourdissant en deux occasions sur les rues Emmett et
Archambault, laissant derrière lui deux épaisses bordures qui s'arrêtaient à
peine à quelques pouces de la porte d'entrée de l'appartement des Morin.
Vers deux heures,
Laurette eut la tentation de s'armer d'une pelle pour dégager le devant de la
porte d'entrée, mais elle y renonça autant parce que la neige semblait avoir
redoublé de violence que parce qu'elle avait préféré aller «jaser» avec Emma
Gravel, à l'étage. Le mari de cette dernière venait de partir à bord de sa
voiture taxi et avait raconté à sa femme que la circulation au centre-ville
était devenue cauchemardesque depuis le milieu de l'avant-midi.
Laurette ne
revint chez elle qu'un peu avant quatre heures. L'obscurité tombait déjà et
elle dut allumer le plafonnier de la cuisine avant de se mettre à préparer le
souper.
A leur arrivée à
la maison, Gilles et Richard furent chargés de déneiger le balcon et l'avant de
la porte d'entrée, même s'il neigeait encore abondamment. Les deux jeunes
venaient à peine de commencer leurs devoirs sur la table de cuisine quand leur
père rentra du travail,
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