A l'écoute du temps

t'es ben capable de
m'en passer une neuve.
     
    Gilles lui jeta
un regard suspicieux, se demandant si son frère ne l'avait pas piégé pour lui
arracher l'une de ses plumes.
     
    — Tu vas attendre
une couple de minutes, se résolut-il à dire après une brève hésitation. Là,
j'ai quelque chose de plus important à faire que de fouiller dans mon coffre.
     
    Richard se laissa
tomber sur le lit et regarda son frère ouvrir son sac d'école et en tirer
quelque chose avec une minutie exagérée. Gilles déposa délicatement deux objets
en bois sur la commode. Il prit ensuite l'un d'eux pour le déposer sur l'autre
avant de reculer de quelques pas, comme pour mieux juger de l'effet que
l'ensemble produisait.
     
    — Puis, qu'est-ce
que t'en penses? demanda-t-il à Richard en lui désignant l'objet de la main.
     
    — C'est quoi,
cette affaire-là? fit l'autre, manifestement intrigué.
     
    — Ça se voit,
non? C'est un coffre à bijoux, affirma Gilles, plein de fierté. J'ai fait ça
tout seul, en menuiserie, 47 Ï à l'école. Je viens de le finir. Je vais le
donner à m'man comme cadeau.
     
    — Tabarnouche! il
faut le savoir que c'est un coffre, dit son frère, moqueur, en s'approchant de
l'objet et en l'examinant sous tous les angles.
     
    — Comment ça?
demanda Gilles, désarçonné par la remarque et, surtout, par le manque
d'enthousiasme de son cadet.
     
    Richard s'avança
et esquissa le geste de s'emparer de l'objet.
     
    — Fais-y
attention, lui ordonna son frère.
     
    — Maudit! Je le
mangerai pas, protesta Richard.
     
    — Pourquoi t'as
dit qu'il faut le savoir?
     
    — Parce que ta
patente a pas l'air d'un coffre pantoute, laissa tomber Richard, en soulevant
le couvercle. Il est pas égal. Le couvercle ferme mal. En plus, il est mal
sablé. Il y a même un bout de clou qui dépasse, ajouta-t-il en lui montrant la
tête d'un petit clou.
     
    — Tu dis ça parce
que t'es jaloux, répliqua sèchement Gilles en reprenant son coffret. T'es même
pas capable d'en faire un pareil.
     
    — C'est sûr que
je suis pas capable de faire une affaire de même, reprit Richard sur un ton
sarcastique, heureux de faire sortir son aîné de ses gonds. Étais-tu obligé de
faire un coffre?
     
    — On pouvait
faire une planche à pain si on voulait.
     
    — Pour moi, t'as
pas dû faire ce que le bonhomme Bédard te montrait, s'entêta Richard en parlant
de l'instituteur chargé d'enseigner la menuiserie à l'école Champlain.
     
    — On verra ben,
finfin, si tu vas faire mieux que moi l'année prochaine quand tu vas être en
septième année...
     
    à moins que tu
redoubles ta sixième, ajouta Gilles pour se venger.
     
    472 DES
SACRIFICES
     
    — Je pense que
j'aime mieux doubler plutôt que de faire rire de moi avec une affaire comme ça,
fit son jeune frère en faisant un bond en arrière pour échapper à la taloche
que Gilles lui destinait.
     
    — En attendant,
tu peux toujours courir chercher une plume au magasin, dit ce dernier. Je t'en
passe pas.
     
    A l'heure du
repas, Laurette trouva à la place qu'elle occupait à table un paquet mal ficelé
dans du papier brun au moment où elle commençait à servir le repas avec l'aide
de Denise.
     
    — C'est quoi,
cette affaire-là? demanda-t-elle en soulevant le paquet.
     
     
     
    — C'est un cadeau
pour vous, m'man, dit Gilles en lançant un regard d'avertissement à son frère
cadet.
     
    — En quel
honneur? fit sa mère, surprise. C'est pas ma fête.
     
    — Je viens de le
finir. Je me suis dit que ce serait une bonne idée de vous le donner tout de
suite plutôt que d'attendre à Pâques.
     
    — On va pas
commencer en plus à se donner des cadeaux à Pâques! s'exclama Jean-Louis en
fixant lui aussi le cadeau que sa mère tenait dans ses mains.
     
    — Ben non,
Séraphin! Poigne pas une crise cardiaque! se moqua Richard. T'auras pas une
cenne à dépenser, inquiète-toi pas. A moins que t'aies envie de me donner du
chocolat. Dans ce cas-là, je dirais pas non.
     
    — Richard, ferme
ta boîte, lui ordonna son père.
     
    — Mais c'est pas
mal pesant, fit remarquer la mère en soupesant l'objet qu'elle tenait.
     
    — Qu'est-ce que
tu dirais de l'ouvrir tout de suite? lui suggéra son mari. Après, on pourrait
peut-être manger.
     
    — Ah oui, m'man,
ouvrez-le, fit Carole, curieuse.
     
    Laurette déposa
le paquet sur la table, s'empara d'un couteau et coupa la ficelle qui retenait
tant bien que mal 473 l'emballage. Elle développa