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A l'écoute du temps

A l'écoute du temps

Titel: A l'écoute du temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
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Je vais avoir
l'air fin, là! marmonna-t-elle, plantée debout devant le miroir des toilettes.
Toute une pin-up! Une grosse mal habillée avec des lunettes épaisses sur le nez!
À part ça, ça va me coûter combien, cette affaire-là? Ce qui la faisait le plus
rager était le côté inéluctable de l'affaire. Pour elle, le port de lunettes
était associé à la vieillesse, malgré tout ce qu'en avait dit Gérard, la
veille.
     
    Elle ne comprenait
pas pourquoi elle allait être astreinte à en porter alors que ses parents n'en
avaient jamais eu besoin. Après s'être longuement plaint du mauvais sort qui
semblait s'acharner sur elle, elle finit tout de même par se calmer en se
disant qu'après tout, ce ne serait pas la fin du monde. Elle n'aurait peut-être
à les chausser que pour lire et raccommoder.
     
    Une heure plus
tard, la maîtresse de maison était penchée sur la boîte dans laquelle elle
empilait les factures et les papiers importants du ménage qu'elle rangeait
habituellement sous son lit. Après quelques minutes de recherche, elle parvint
à mettre la main sur la facture de l'optométriste Talbot de la rue
Saint-Hubert. Elle voulait avoir une idée de la somme exigée par le
spécialiste, six ans auparavant, quand il avait prescrit de nouvelles lunettes
à Gérard.
     
    — Trente-cinq
piastres! s'exclama-t-elle. Mais c'est écoeurant comme c'est cher. Où est-ce
que je vais trouver cet argent-là? se demanda-t-elle à voix haute.
     
    485 Sur ces mots,
elle alla chercher sa bourse et en tira son second porte-monnaie dans lequel
elle dissimulait les maigres économies du ménage.
     
     
     
    — J'ai juste
douze piastres! J'irai pas ben loin avec ça.
     
    Malgré tout, elle
s'astreignit à téléphoner au bureau de l'optométriste qui lui fixa rendez-vous
à deux heures, le samedi après-midi suivant.
     
    — En plus, il
vient gaspiller mon samedi, fît Laurette, de mauvaise humeur, après avoir
raccroché l'appareil d'un geste brusque.
     
    Lorsqu'elle parla
de son rendez-vous à son mari ce soir-là en s'inquiétant de la somme qu'elle
aurait probablement à débourser pour des lunettes, ce dernier la calma.
     
    — Énerve-toi donc
pas tant avec le prix. Commence par aller passer ton examen de la vue. Après,
tu verras ben ce qu'il va te charger pour des lunettes. Si t'as pas assez
d'argent, tu pourras toujours en emprunter à Jean-Louis.
     
    — Il a pas tant
d'argent que ça, répliqua Laurette.
     
    — Il en a plus
que nous autres en tout cas, rétorqua Gérard qui dut s'arrêter de parler pour
tousser. Il dépense jamais rien. Il m'a dit dimanche passé qu'il s'était ouvert
un compte à la banque d'Épargne, au coin de Dufresne, la semaine passée.
     
    — Première
nouvelle! fit sa femme, un peu ulcérée de constater que son préféré ne lui
avait rien dit.
     
    Un compte de
banque! Son Jean-Louis avait un compte de banque! Laurette n'en revenait pas.
Elle et son mari n'avaient jamais eu assez d'argent pour en posséder un. Depuis
leur mariage, leur vie n'avait été qu'une lutte sans fin pour joindre les deux
bouts à la fin de chaque mois. Sans l'avouer ouvertement, la mère de famille
éprouvait un profond respect pour l'argent et, par contrecoup, pour ceux qui en
avaient ou qui le manipulaient.
     
    Serge Dubuc,
l'ami de Denise, était de ceux-là.
     
    486 DES LUNETTES
Ce samedi-là, Laurette prit le tramway et se rendit au bureau de
l'optométriste, en proie à une vague inquiétude.
     
    Elle avait
toujours ressenti un certain malaise à rencontrer des personnes qui
s'occupaient de la santé des autres. «On sait jamais ce qu'ils vont découvrir
en nous examinant», se disait-elle parfois.
     
    Le bureau
d'Émilien Talbot était situé au rez-de- chaussée d'une vieille maison en pierre
grise. La vitrine assez discrète se limitait à donner le nom du spécialiste
au-dessus d'une énorme paire de lunettes.
     
    Laurette poussa
la porte et se présenta à la secrétaire qui la pria de s'asseoir dans la petite
salle d'attente où trois clients attendaient déjà. Elle prit la peine de lui
préciser qu'elle serait la prochaine à être examinée.
     
    Laurette la remercia
et alla s'asseoir face à une dame dont le visage disparaissait derrière une
vieille revue qu'elle avait prise sur la table qui les séparait.
     
    Quelques instants
plus tard, la dame déposa la revue.
     
    Après un moment
d'hésitation, Laurette, stupéfaite, reconnut l'inconnue qui l'avait ramenée
chez

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