A l'écoute du temps

Gérard. Je viens juste de me lever.
     
    — C'est pas
Jean-Louis non plus; il fume pas, ajouta Laurette d'une voix pensive.
     
    — C'est sûr, il
serait obligé de payer ses cigarettes, fit remarquer Richard d'une voix
perfide.
     
    Même si
l'adolescent avait terminé son repas depuis plusieurs minutes, il traînait
encore à table.
     
    — Moi, je fume
pas, déclara Denise.
     
    — Moi non plus,
fit Carole en adoptant un air dégoûté.
     
    — Il manquerait
plus que ça, dit leur mère. En tout cas, si jamais j'en poigne un à me voler
des cigarettes, ajoutât- elle sur un ton menaçant, il va le regretter. Il va
manger une claque par la tête dont il va se souvenir.
     
    A sa façon de
s'adresser à Gilles et à Richard, il était évident que les deux adolescents
venaient en tête de liste des suspects. Il fallait donc s'attendre à ce qu'ils
deviennent les objets d'une étroite surveillance. La mère de famille se leva
après avoir écrasé son mégot de cigarette dans le cendrier et elle disparut
dans sa chambre à coucher.
     
    Gilles et Denise
se partagèrent les tranches de baloney et se confectionnèrent des sandwichs
pendant que leur père s'emparait de la bouilloire et allait verser l'eau chaude
dans le lavabo de la cuisine dans l'intention de se raser.
     
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    — Oubliez pas de
faire vos lits avant de partir, cria Laurette à la cantonade au moment de
s'enfermer dans la salle de bain.
     
    Avant d'aller
chercher sa bicyclette dans le hangar, Gilles alla dans la chambre qu'il
partageait avec son frère.
     
    — Envoyé! Viens
m'aider à faire le lit, ordonna-t-il à son cadet.
     
    — Il y a pas le
feu, rouspéta l'autre.
     
    — Grouille-toi.
Je dois être chez Tougas dans dix minutes.
     
    Les deux
adolescents replacèrent tant bien que mal les couvertures et les oreillers
avant de ramasser les vêtements qui traînaient sur le parquet. Au moment où
Richard allait quitter la pièce, son frère l'attrapa par un bras.
     
    — T'es ben tata,
toi, de piquer toutes ces cigarettes là à m'man! l'apostropha-t-il à mi-voix.
Comme si elle était pas pour s'en apercevoir! La prends-tu pour une niaiseuse?
Même si elle les roule elle-même, elle les compte, tu sauras.
     
    — Aïe, lâche-moi!
protesta Richard en repoussant son frère. Je gagne pas d'argent comme toi, moi.
Je peux pas m'en acheter.
     
    — Je t'en ai
donné deux hier matin, lui fit remarquer Gilles, qui fumait en cachette depuis
le début de l'été.
     
    — J'en n'ai pas
eu assez.
     
    — Ouais, c'est
fin, ça. À cette heure, à cause de toi, on va avoir la mère sur le dos et elle
va fouiller dans nos affaire tout le temps.
     
    — Tu t'énerves
pour rien, voulut le calmer Richard.
     
    T'as juste à
continuer à cacher ton paquet dans le hangar.
     
    Elle y va presque
jamais parce qu'elle a peur des rats.
     
    Gilles haussa les
épaules et quitta la pièce. Il traversa l'appartement et sortit par la porte
arrière pour aller 62 UN COMMENTAIRE DÉSOBLIGEANT chercher la vieille bicyclette
de l'épicerie Tougas. Au moment de sortir de la cour en la poussant devant lui,
il se promit de cacher ses cigarettes ailleurs que dans le hangar pour éviter
que son jeune frère ne profite un peu trop de la situation durant ses absences.
     
    Alors qu'il
enfourchait le gros vélo noir et se mettait à pédaler pour quitter la grande
cour, il aperçut devant lui sa soeur Denise en train de traverser la rue
Archambault, juchée sur ses souliers à talons hauts.
     
    — Veux-tu un
lift, la grande, lui proposa-t-il en ralentissant à sa hauteur.
     
    — Es-tu malade,
toi?
     
    — Il y a de la
place dans le panier, fit Gilles à demi sérieux.
     
    — Me vois-tu
assise là-dedans? Laisse faire. J'aime mieux marcher.
     
    — Comme tu
voudras, fit le jeune livreur de bonne humeur en se mettant à pédaler avec plus
de vigueur.
     
    Denise le vit
disparaître au coin de la ruelle Grant.
     
    Un peu avant dix
heures, Laurette entra dans la cuisine. Elle avait enlevé ses bigoudis et
coiffé sa nouvelle permanente sur laquelle elle avait posé un petit chapeau
bleu orné d'une aigrette. Vêtue d'une robe bleu marine à col blanc qui la
boudinait un peu, elle portait un grand sac à main en cuir noir qu'elle déposa
sur un coin de la table avant de l'ouvrir. Son mari cessa un moment de lire La
Patrie, qu'il avait étalée devant lui sur la table, pour la regarder par-dessus
les verres de ses lunettes.
     
    — Bon. J'y vais,
lui