A l'écoute du temps
arrière.
Soudain, Denise
avait été frappée par le fait qu'il soit venu la relancer au magasin, chose
qu'il ne faisait plus depuis plusieurs mois. Habituellement, ils ne se voyaient
que le matin, au restaurant, pendant quelques minutes. Si leur heure de repas
coïncidait, il pouvait arriver qu'il la guette à l'extérieur pour lui faire
signe de venir manger avec lui à la salle de billard voisine, mais c'était
extrêmement rare.
— Qu'est-ce qu'il
y a? lui avait-elle demandé à voix basse.
— Laisse tes
sandwichs et viens manger une patate frite avec moi à côté, avait répondu le
jeune caissier en arborant une mine mystérieuse. J'ai quelque chose à te dire.
Intriguée, Denise
s'était empressée d'aller chercher son manteau à l'arrière du magasin et de
suivre son ami. Ce dernier avait poussé la porte de la salle de billard.
L'endroit était chaud et l'espace réservé à la restauration était étroit 495 et
dépourvu de banquettes. Si on voulait manger, il fallait se contenter de
consommer debout devant le comptoir ou, si l'on était chanceux, assis sur l'un
des six tabourets fixes installés devant une étroite tablette, face au mur opposé
au comptoir. Les deux jeunes gens avaient eu la chance de pouvoir s'asseoir.
— Puis, qu'est-ce
qu'il y a? avait demandé Denise, tout de même un peu inquiète, en se tournant
vers Serge qui venait de déposer devant elle des frites et un Coke.
— J'ai une bonne
nouvelle à t'annoncer, avait dit ce dernier, un rien cérémonieux.
— Laquelle?
— Je suis
transféré au bureau-chef, avait dit le caissier sur un ton triomphal.
En entendant ces
paroles, le coeur de Denise avait eu un raté.
— Où est-ce que
c'est?
— Dans l'ouest de
la ville, coin Saint-Jacques et Saint- Pierre.
— Et t'appelles
ça un bonne nouvelle, toi?
— Non, la bonne
nouvelle, c'est que j'ai été nommé moniteur, avait précisé le jeune homme, tout
fier de sa promotion.
— Ça veut dire
quoi?
— Ça veut dire
que je vais avoir un meilleur salaire et que mon travail, à partir de lundi, ça
va être d'entraîner les commis et d'être responsable des caissiers de la
succursale.
Je suis sûr que
dans un an, ils vont me nommer assistant comptable.
— Je suis ben
contente pour toi, s'était contentée de dire Denise d'une voix éteinte.
— On le dirait
pas à t'entendre, lui avait fait remarquer Serge, un peu dépité par son manque
évident d'enthousiasme.
496 DES LUNETTES
— Ça veut dire
qu'on se verra plus le matin, avait murmuré Denise, les larmes aux yeux.
— C'est vrai,
avait reconnu Serge. On va se voir moins souvent, mais on va continuer à sortir
ensemble.
— C'est plate
pareil, avait conclu la jeune fille, malheureuse.
Serge avait
laissé passer un long moment de silence, comme s'il avait cherché un moyen de
consoler son amie.
Finalement, il
s'était tourné vers elle pour lui dire:
— Écoute, si ça
fait ton affaire, je peux demander à tes parents de venir te voir aussi le
dimanche quand il va faire plus chaud. Comme ça, on va pouvoir veiller dehors,
en tout cas ailleurs que dans la cuisine avec tout le monde.
Denise s'était
limitée à hocher la tête en signe d'acceptation. Elle avait bu le Contenu de la
bouteille de Coke, mais elle n'avait pas touché à ses frites tant la nouvelle
lui avait coupé l'appétit. Les deux jeunes gens s'étaient quittés quelques
instants plus tard pour retourner au travail. Après le choc de cette nouvelle
qui allait bouleverser sa vie quotidienne, la jeune fille avait commencé à
éprouver la première morsure de la jalousie.
Elle connaissait
de vue tout le personnel féminin de la succursale de la rue Dufresne. Toutes
étaient des vieilles de plus de trente ans dont elle n'avait rien à craindre.
Mais qu'en était-il au bureau-chef? Serge allait sûrement y découvrir deux ou
trois filles agréables à regarder et bien décidées à séduire un jeune moniteur
plein d'avenir. Dès le départ, elles allaient jouir de deux avantages sur elle.
Ces filles allaient
le côtoyer tous les jours et, de plus, elle vivaient certainement dans des
maisons normales disposant d'un salon.
Ce soir-là, tout
en préparant sa tasse de chocolat chaud, elle se promit de demander à son
amoureux de lui téléphoner de temps à autre le soir. Jusqu'à présent, ils 497
n'avaient pas éprouvé le besoin de
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