Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
A l'écoute du temps

A l'écoute du temps

Titel: A l'écoute du temps Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel David
Vom Netzwerk:
d'Épargne. Il eut alors une grimace de
mécontentement en s'apercevant que l'unique caisse en opération était tenue par
Serge Dubuc. Il aurait préféré que ce dernier ne soit pas au courant du total
de ses économies.
     
    Par conséquent,
Laurette ne put aller chercher ses lunettes que le vendredi après-midi.
L'assistante de l'opto 492 DES LUNETTES métriste les lui fit essayer et procéda
aux derniers ajustements de la monture avant de les lui remettre dans un étui
en cuir noir. La mère de famille les déposa avec précaution au fond de son sac
à main et quitta les lieux après avoir versé vingt dollars.
     
    De retour à la
maison, elle chaussa ce qu'elle appelait ses «barniques» et se planta devant le
miroir de la salle de bain.
     
    — Maudit que je
suis laide avec cette affaire-là dans le visage! J'ai l'air d'une vraie folle!
s'exclama-t-elle en se voyant. J'ai pas assez à cette heure de m'arracher des
cheveux gris deux ou trois fois par semaine, me voilà poignée à porter ça.
     
    Elle prit
immédiatement la résolution de ne les utiliser que pour lire.
     
    Quand Gérard
rentra, elle attendit qu'il lui demande de les lui montrer pour consentir à les
sortir de son sac laissé dans la chambre à coucher.
     
    — Qu'est-ce que
t'en penses? lui demanda-t-elle après les avoir déposées sur son nez.
     
    Elle guettait sa
réaction avec avidité.
     
    — Elles te font
ben, répondit-il sans marquer la moindre hésitation. Elles te donnent un air
sérieux, ajouta-t-il.
     
    — En tout cas, je
vais les mettre juste pour lire. J'en ai pas besoin tout le temps.
     
    — Tu pourrais les
garder tout le temps si tu le veux. Ça les usera pas plus vite, plaisanta-t-il.
     
    Sa femme ne tint
aucun compte de son avis et s'empressa de les retirer et de les glisser dans
leur étui. Elle venait de décider de les laisser à portée de main, sur le
réfrigérateur.
     
    Quand Richard
aperçut sa mère chausser ses lunettes pour lire les questions du catéchisme
auxquelles il devait répondre, l'adolescent ne put s'empêcher de s'écrier: 493
     
    — Ayoye! Avec vos
lunettes, m'man, vous ressemblez à la bonne femme Racette.
     
    — Toi,
l'insignifiant, laisse faire tes remarques et apprends ton catéchisme comme du
monde si tu veux pas que je t'allonge une claque derrière la tête.
     
    La remarque de
son fils lui fit piquer un fard. Emilia Racette était une quinquagénaire énorme
demeurant sur la rue Archambault. La ménagère au visage ingrat orné de deux ou
trois verrues portait des lunettes aux verres épais comme des culs de
bouteille.
     
    Ce soir-là, la
mère de famille oublia rapidement l'apparence que lui donnait le port de ses
nouvelles lunettes quand elle vit Denise, la mine basse, rentrer seule à la
maison, quelques minutes après neuf heures. Lorsque la jeune fille pénétra dans
la cuisine après avoir retiré son manteau, sa mère s'empressa de lui demander:
     
    — T'as pas
attendu Gilles pour revenir? lui demandât- elle.
     
    — Il était pas
devant la porte du magasin quand j'ai fini de travailler. J'avais pas le goût
de l'attendre, expliqua la jeune fille en se dirigeant vers l'armoire où sa
mère rangeait la boîte de chocolat en poudre Fry.
     
    — Je t'ai demandé
de l'attendre parce que c'est dangereux de marcher toute seule sur la rue quand
il fait noir, lui dit sa mère en haussant la voix. Attends-tu qu'il t'arrive
quelque chose?
     
    — Ben non, m'man,
répondit Denise d'une voix excédée. Mais à soir, j'étais trop fatiguée pour
l'attendre.
     
    Là, je me fais
une tasse de chocolat chaud et je m'en vais me coucher, ajouta-t-elle en
déposant devant sa mère sa paie de la semaine.
     
    494 DES LUNETTES
En fait, la jeune fille n'avait pas du tout songé à attendre son frère pour
rentrer. Depuis l'heure du souper, elle était dans une sorte d'état second,
partagée entre la peine et l'espoir.
     
    Un peu après cinq
heures, au moment où Antoine Beaudry venait de lui signifier qu'il lui donnait
ses trente minutes pour aller manger ses sandwichs dans la petite pièce qu'il
appelait pompeusement la salle de repos, elle avait vu Serge Dubuc pousser la
porte du magasin et se diriger vers elle. Le gérant, debout derrière la caisse,
avait jeté un regard dépourvu d'aménité à l'ami de coeur de sa vendeuse, mais il
s'était bien gardé de dire un mot.
     
    — Es-tu dans ta
demi-heure de souper? lui avait demandé Serge.
     
    — Oui. Je m'en
allais manger en

Weitere Kostenlose Bücher