A l'écoute du temps
deux ou trois fois la nuit passée.
— Et moi? Tu
penses peut-être qu'il me réveille pas, lui fit remarquer sèchement sa mère. Je
dors à côté de lui.
Ton père est pas
encore revenu de sa grippe, mais il va aller mieux avec le beau temps qui s'en
vient.
— Si encore il
prenait quelque chose pour se soigner.
— Tu connais ton
père. Il a une tête de cochon. Il pense que ça va guérir tout seul.
— Vous pensez pas
qu'il serait temps qu'il se décide à aller voir un docteur?
— J'arrête pas de
lui dire de le faire, admit sa mère.
— Je le sais pas,
m'man, mais j'ai ben l'impression que c'est pas juste une grippe qu'il a. C'est
pas normal pantoute de tousser comme ça tout le temps.
— Je le sais,
mais il y a pas moyen de le décider à se soigner comme du monde, dit Laurette,
dont l'inquiétude était ravivée par cette conversation avec son fils. Je peux
tout de même pas le traîner de force chez le docteur, bonyeu! Jean-Louis eut un
soupir d'exaspération et disparut dans les toilettes sans rien ajouter.
Le lundi suivant,
Laurette se prépara, comme tous les lundis matin, à faire son lavage. Pour la
première fois depuis la fin de l'automne précédent, elle allait pouvoir étendre
son linge sur la corde à l'extérieur. Enfin! Il était terminé le temps où elle
devait supporter un appartement humide aux vitres embuées parce qu'elle devait
étendre les vêtements mouillés dans la cuisine pour les faire sécher.
— Sors-moi le
boiler et la cuvette du hangar, demandât- elle à Gilles au moment où il
s'apprêtait à quitter la 501 maison. Richard, toi, tu vas aller porter les
poubelles au coin de la cour pour que les vidangeurs les prennent.
Les deux
adolescents rechignèrent un peu, mais obéirent.
Dès le départ de
ses enfants, la mère de famille tira la laveuse remplie de vêtements souillés
dans la cuisine et commença à les répartir selon leur couleur. La radio jouait
en sourdine. Il régnait une chaleur agréable dans la pièce. Soudain, son regard
fut attiré par une tache rouge.
Elle se pencha et
tira un mouchoir taché de sang du tas de vêtements.
— Bon. Il y en a
un qui a saigné du nez, dit-elle à haute voix.
Puis, elle en
trouva deux autres maculés de sang lors de son triage.
— On dirait ben
que je vais être obligée de passer ça à l'eau de Javel pour les ramener,
murmura-t-elle. Je voudrais ben savoir qui a saigné comme ça.
Elle poursuivit
sa tâche et parvint à laver tout son linge avant la fin de l'avant-midi. Quand
les écoliers revinrent à la maison pour dîner, ils la trouvèrent vêtue d'un
épais lainage, en train de rentrer à l'intérieur le contenu de sa première
cordée de vêtements secs. Pendant que Carole s'activait à mettre le couvert,
Laurette pensa soudain aux mouchoirs.
— Qui est-ce qui
a saigné du nez la semaine passée?
— Pas moi,
répondirent-ils tous les trois en même temps.
— Pourquoi vous
nous demandez ça, m'man? demanda Richard.
— Laisse faire,
c'est pas important, répondit sa mère en déposant un plat de spaghettis
réchauffés sur la table.
Ce midi-là,
Laurette mangea peu, contrairement à son habitude. Un doute s'était mis à la
tarauder. Était-il 502 UN MALHEUR possible que son mari se soit mis à cracher
du sang? Si Denise ou Jean-Louis avait saigné, il ou elle aurait taché un
mouchoir, pas trois.
Brusquement, un
souvenir lui revint en mémoire. Elle revit Antoine Migneault, un voisin de ses
parents sur la rue Champagne à l'époque où elle était adolescente.
L'homme, plus
jeune que son père, était un ouvrier robuste et fort en gueule à qui une
bagarre ne faisait pas peur. Or, après un long hiver, Laurette l'avait revu.
L'homme était méconnaissable. il avait l'air d'un vieillard, assis frileusement
sur son balcon, enveloppé dans une épaisse couverture de laine, même durant les
grandes chaleurs de l'été. Il avait les yeux enfoncés au fond des orbites et
était d'une maigreur qui faisait peur aux enfants du voisinage.
Même plus de
vingt-cinq ans plus tard, il lui semblait entendre sa mère déclarer:
— Il en a plus
pour ben longtemps. Il crache le sang, le pauvre homme. Il est pris des
poumons, et ça, ma petite fille, ça pardonne pas.
En fait, le
voisin était mort au début de l'automne suivant. Laurette avait gardé une peur
profonde de cette maladie,
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