A l'écoute du temps
docteur.
— Vous avez
sûrement entendu parler de la tuberculose.
Rassurez-vous,
c'est plus une maladie mortelle comme il y a dix ou vingt ans. Aujourd'hui, il
y a des antibiotiques 513 pour traiter ça. Ça prend du temps pour s'en
débarrasser, mais on y arrive. Vous avez des enfants?
— Oui, cinq.
— Vous devez donc
savoir qu'on a commencé à les piquer avec le nouveau vaccin BCG dans les
écoles.
— Non, je savais
pas, reconnut Gérard.
— Écoutez-moi
bien, monsieur Morin. La tuberculose prend pas mal de temps à guérir. Pour la
vaincre, il faut être patient et discipliné. On doit surtout être prêt à faire
de grands sacrifices.
Gérard hocha la
tête, ne sachant pas trop où le spécialiste voulait en venir.
— Vous êtes
devenu extrêmement contagieux. Chaque fois que vous toussez ou que vous
éternuez, vous risquez de transmettre la tuberculose à votre femme et à vos
enfants. C'est pourquoi le traitement se donne dans un sanatorium. En plus, il
exige que le patient se repose beaucoup. Il faut qu'il ait une alimentation
saine et qu'il respire du bon air.
— Combien de
temps ça dure, ce traitement-là? demanda Gérard dont la panique était évidente.
— Dans le
meilleur des cas, un an. Parfois, il en faut deux ou trois pour arriver à
remettre sur pied un patient.
Ça dépend souvent
de sa volonté de guérir.
— Mais je peux pas
aller dans un sanatorium aussi longtemps que ça, plaida Gérard, la voix
éteinte. Ma famille a besoin de mon salaire.
— Si vous y allez
pas, dans quelques mois, vous allez être six pieds sous terre, monsieur Morin.
Votre famille pourra jamais plus compter sur vous.
— Et m'a job
— De toute façon,
vous ne pourrez pas la conserver parce que la loi m'oblige à aviser votre
employeur de votre maladie parce que vous êtes contagieux.
5H UN MALHEUR Le
silence tomba dans le bureau. Le médecin était habitué à ce genre de scène
parce que la tuberculose frappait le plus souvent des ouvriers pauvres,
victimes de leurs conditions de vie précaires. Il laissa donc à son patient le
temps de se faire à l'idée de ce qui lui arrivait. Finalement, le père de famille,
demanda d'une voix brisée:
— Qu'est-ce qui
va m'arriver?
— Vous allez
retourner à la maison et demander à votre femme de vous préparer une valise.
Dès que vous aurez quitté mon bureau, je vais appeler les soeurs de la
Miséricorde qui dirigent le sanatorium Saint-Joseph, sur le boulevard Rosemont,
dans l'est. Je vais m'organiser pour qu'elles vous trouvent une place. Elles
vont vous attendre cet après-midi. Demain matin, vous commencerez votre
traitement.
— S'il y a pas
d'autre moyen, dit Gérard d'une voix misérable.
— Ayez confiance,
monsieur Morin, l'encouragea le médecin en se levant pour lui signifier la fin
de l'entrevue.
Dites-vous que
les gens qui vont s'occuper de vous ne chercheront que votre bien.
Gérard se
retrouva à l'extérieur de l'institut tout étourdi. Les choses allaient trop
vite pour lui. Hier, il avait encore un emploi, une famille et un chez-soi.
Maintenant, il n'avait plus rien. Il allait être un malade inutile, un poids
mort. Pendant tout le trajet de retour en tramway, il se tourmenta pour savoir
comment les siens allaient bien pouvoir survivre sans son salaire. Quand il
rentra chez lui, un peu après une heure et demie, il se retrouva devant une
Laurette passablement inquiète.
— Mon Dieu! Ils
t'ont ben gardé longtemps, dit-elle pendant qu'il retirait son manteau.
Son mari ne
répondit rien. Elle remarqua alors ses traits tirés et son air épuisé.
5r5
— Approche. Je
vais te faire réchauffer un peu de fricassée, lui offrit-elle.
— J'ai pas faim.
Fais-moi juste une tasse de café.
— Puis?
demanda-t-elle en déposant la bouilloire sur le poêle.
— Je dois me
faire soigner, laissa tomber Gérard.
— Qu'est-ce que
t'as exactement? insista sa femme.
— D'après
Laramée, j'ai la tuberculose.
— Pas ça! s'exclama
Laurette dont le visage était devenu subitement blanc.
— J'entre au
sanatorium tout à l'heure.
— Au sanatorium!
Mais pour combien de temps?
— Il dit que
c'est pour au moins un an, dit Gérard dans un souffle.
— Mon Dieu! ne
put s'empêcher de dire Laurette qui, les jambes coupées par la nouvelle,
s'assit lourdement en face de son mari. Pourquoi
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