A l'écoute du temps
Laurette.
— Pourquoi vous
me l'avez pas dit? reprocha le médecin à Gérard, qui prit un air coupable. Si
ce que vous dites est vrai, madame, il y a pas de temps à perdre. C'est urgent.
Il faut absolument que votre mari aille passer cette radiographie demain.
— On va y aller,
docteur, assura Laurette.
508 UN MALHEUR
— Vous pouvez
avoir confiance en mon confrère Laramée, affirma le praticien à Gérard, sur un
ton rassurant. S'il détecte la moindre anomalie dans les radiographies de vos
poumons, il va vous le dire et vous expliquer le traitement à suivre.
Aujourd'hui, il y a tellement de médicaments sur le marché qu'on parvient à
guérir presque tout.
— Merci, docteur,
dirent le mari et la femme en se levant, prêts à quitter le bureau du vieux
médecin.
Gérard et
Laurette réglèrent le prix de la consultation à la secrétaire et rentrèrent à
la maison dans un silence presque total. La femme en voulait un peu à son mari
d'avoir cherché à cacher au médecin son véritable état de santé, mais elle se
retenait de lui faire le moindre reproche à ce sujet pour ne pas le braquer.
Par ailleurs, elle sentait qu'il était rongé par l'inquiétude et elle ne savait
pas trop comment le rassurer.
À leur entrée
dans l'appartement, ils trouvèrent tous leurs enfants dans la cuisine.
— Comment ça se
fait que vous êtes pas couchés, vous autres? demanda Laurette aux plus jeunes.
Votre heure est passée depuis longtemps.
— On voulait
savoir ce que p'pa avait, répondit Richard pour les autres.
Comme Gérard ne
semblait pas disposé à expliquer son état de santé, Laurette répondit à sa
place.
— On le sait pas
encore. Votre père doit aller passer une radiographie des poumons demain. À
cette heure, allez vous coucher.
Avant de se
diriger vers sa chambre, Carole s'empressa d'aller embrasser son père et sa
mère sur une joue, puis Gilles et Richard embrassèrent leur mère et
souhaitèrent une bonne nuit à leur père. Pour leur part, Jean-Louis et Denise
demeurèrent un bon moment dans la cuisine avec 509 leurs parents avant d'aller
se mettre au lit à leur tour. De tous les enfants, Richard semblait le plus
inquiet de l'état de santé de son père.
Ce soir-là, au
moment d'éteindre sa lampe de chevet, Gérard dit à voix basse à sa femme:
— Va pas penser
que je vais perdre une journée de salaire demain pour aller là-bas. Il en est
pas question.
— Le docteur t'a
dit que c'était urgent, répliqua Laurette, dans le noir.
— Je m'en sacre.
Les docteurs sont tous pareils. Ils cherchent juste à nous faire peur.
— Parfait, Gérard
Morin! Si t'as décidé de crever comme un chien, t'es libre de le faire, lui dit
sa femme dans une flambée de colère. Je m'en mêle plus. Tu tousses comme un
déchaîné et tu craches le sang, c'est normal. Tu penses que t'es pas malade?
C'est correct, t'es pas malade.
Mais que je
t'entende pas te plaindre, par exemple.
Sur ces mots bien
sentis, elle lui tourna le dos. Cependant, l'angoisse la garda éveillée durant
de longues minutes. Les yeux ouverts dans l'obscurité, elle se demanda comment
elle allait bien pouvoir s'y prendre pour décider son mari à se rendre à
l'Institut Bruchési le lendemain. Si elle s'était écoutée, elle se serait levée
et serait allée fumer dans la cuisine. Pendant un bref moment, la pensée que ce
malheur pouvait être le résultat du bris de sa promesse de carême l'effleura.
Puis la crainte de réveiller son mari la tint clouée dans son lit jusqu'à ce
que la fatigue ait raison d'elle.
Cependant, toute
cette angoisse était bien inutile. Le lendemain matin, Gérard se leva à la même
heure que d'habitude, mais il ne fit pas un geste pour se hâter de faire sa
toilette. Laurette l'épiait depuis son entrée dans la 5ÏO UN MALHEUR cuisine.
Elle fit comme si elle ne remarquait rien d'anormal.
Elle se borna à
lui servir une tasse de café. Lorsqu'elle le vit ne manger qu'une moitié de
rôtie et repousser son assiette, elle ne put s'empêcher de lui dire:
— Voyons, Gérard.
Force-toi pour manger plus que ça.
— J'ai pas faim,
répliqua son mari en s'écartant de la table pour s'allumer une cigarette, ce
qui le fit tousser dès qu'il inhala.
A huit heures, le
magasinier de la Dominion Rubber appela son patron pour lui signifier qu'il
serait absent pour cause de maladie ce jour-là et il
Weitere Kostenlose Bücher