A l'écoute du temps
est-ce que ça nous arrive à
nous autres une affaire comme ça?
— Es-tu capable
de me préparer une valise? demanda Gérard. Le docteur m'a demandé d'entrer au
sanatorium Saint-Joseph cet après-midi.
— Où est-ce que
c'est, ce sanatorium-là? fît Laurette en faisant un effort surhumain pour
contrôler son désarroi.
— À Montréal. Sur
le boulevard Rosemont, dans l'Est.
Il paraît qu'on
peut y aller en autobus.
— Laisse faire
l'autobus, dit sa femme, qui venait de tirer un mouchoir de la poche de son
tablier pour essuyer ses larmes qui s'étaient mises à couler. J'ai téléphoné à
Pauline avant le dîner. Elle m'a dit qu'Armand travaillait de nuit chez Molson
depuis un mois. Je peux ben demander à mon frère un petit service.
Laurette composa
le numéro de téléphone de son frère. C'est ce dernier qui répondit.
516 UN MALHEUR
— Armand,
j'espère que je t'ai pas réveillé? Pauline m'a dit que tu travaillais de nuit.
— Non, je viens
de me lever.
— Serais-tu
capable de venir conduire Gérard à l'hôpital cet après-midi?
— Pas de
problème.
— T'es ben fin.
On va t'attendre.
Sur ces mots,
Laurette raccrocha.
— Pourquoi tu lui
as pas dit que tu voulais qu'il m'amène au sanatorium? lui demanda Gérard.
— Aie! Tu connais
Pauline. Si elle avait su que c'était pour aller te mener là, elle aurait
jamais voulu qu'il vienne parce qu'elle aurait eu peur qu'il rapporte tes
microbes à la maison.
— As-tu
l'intention de venir avec moi?
— C'est sûr. Je
vais appeler Marie-Ange pour qu'elle vienne faire à souper aux enfants.
— Tu vas
probablement être revenue à temps pour ça, lui fit remarquer son mari.
— Oui, mais il
faut tout de même quelqu'un dans la maison quand ils vont revenir de l'école.
De toute façon, ça devrait pas trop la déranger: elle a pas d'enfant.
La femme de
Bernard Brûlé répondit au téléphone dès la première sonnerie. Sa belle-soeur
lui apprit la terrible nouvelle et lui demanda si elle acceptait de venir
s'occuper de la maison, le temps qu'elle aille conduire Gérard au sanatorium.
— T'es pas
sérieuse, Laurette? fit l'autre d'une voix un peu gênée. Ça m'aurait fait ben
plaisir d'y aller, mais tu me connais. Maladive comme je suis, j'attrape tout
ce qui passe. Si je mets les pieds chez vous, je suis ben capable d'attraper la
tuberculose et...
— Bon, c'est
correct, la coupa Laurette. Ce sera pour une autre fois.
S1! Elle
raccrocha, furieuse.
— Ah! C'est beau
la famille! Quand t'as besoin de quelqu'un, il y a plus personne. Je vais m'en
souvenir longtemps de la Marie-Ange, je t'en passe un papier.
Elle disparut
dans la chambre à coucher. Elle tira du placard une vieille valise en cuir
bouilli et se mit à empiler à l'intérieur tout ce dont son mari risquait
d'avoir besoin, du moins durant les premiers jours de son séjour. Elle quitta
la pièce en portant la valise qu'elle déposa près de la porte d'entrée. Gérard
était debout devant la fenêtre de la cuisine et fixait les derniers amas de
neige grise qui avaient survécu aux assauts du soleil en ce début d'avril.
— Je monte en
haut une minute, lui annonça-t-elle avant de quitter l'appartement. Si Armand
arrive avant que je revienne, offre-lui une tasse de café.
Son mari fit un
signe de tête comme quoi il l'avait bien entendue. Laurette alla frapper chez
les Gravel, à l'étage.
La petite femme
du chauffeur de taxi vint lui ouvrir et la fit entrer.
— Je m'en venais
vous demander un service, madame Gravel, fit-elle. Mais si vous voulez pas,
soyez pas gênée pour refuser.
Emma Gravel,
étonnée par l'embarras inhabituel manifesté par sa voisine, prit une seconde
avant de réagir.
— Qu'est-ce qu'il
y a, madame Morin?
— Ben. Mon mari
doit entrer au sanatorium tout à l'heure. Je voudrais ben y aller avec lui. Le
problème, c'est que je sais pas si je vais être revenue quand les enfants vont
rentrer de l'école. Je me demandais si vous pourriez pas venir leur ouvrir la
porte quand ils vont arriver.
— C'est sûr que
je vais descendre, madame Morin, répondit Emma Gravel sans la moindre
hésitation. Je vais y aller tout de suite, à part ça. Donnez-moi une minute
pour enfiler ma veste de laine et je vous suis.
518 UN MALHEUR
— Et votre mari?
Vos enfants? demanda Laurette.
— Inquiétez-vous
pas pour
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