A l'écoute du temps
son nez ses lunettes cerclées de métal pour consulter la
liste qu'elle tenait à la main. Elle appela par ordre alphabétique les
fillettes qui seraient dans sa classe. Mireille Bélanger fut nommée après
Catherine Aubin et il fallut que Carole attende encore un bon moment avant
d'entendre la même religieuse prononcer son nom. Son voeu le plus cher était
exaucé. Elle allait être dans le même groupe que sa meilleure amie.
Quelques minutes
plus tard, toutes les deux s'assirent l'une près de l'autre dans une classe qui
sentait la cire à plancher et l'huile citronnée. De toute évidence, les ll5
pupitres avaient été vernis durant l'été parce qu'aucun graffiti ne venait en
décorer le plateau. Le bureau de l'enseignante, disposé sur une estrade à
l'avant du local, disparaissait sous des piles impressionnantes de manuels
scolaires.
Ce matin-là,
Gilles n'avait pas attendu son jeune frère pour se diriger vers l'école
Champlain située coin Logan et Fullum. Richard n'était plus un bébé. Il allait
entrer en sixième année et pouvait se rendre seul à l'école. Son frère avait
ses amis, et lui, les siens.
Pour sa part,
c'était la dernière année qu'il fréquenterait le vieil édifice de deux étages
en pierre grise dont le grand escalier de la façade ne pouvait être utilisé que
par les visiteurs et les enseignants. Élève de septième, l'adolescent n'était
même pas certain de vouloir continuer en huitième l'année suivante. Il avait
plus de facilité à apprendre que ses frères et soeurs, mais il ignorait encore
ce qu'il voulait faire plus tard. En attendant, il était impatient de retrouver
des copains qu'il n'avait pas vus depuis le mois de juin précédent et, surtout,
de savoir qui serait son enseignant.
Si Gilles Morin
avait su l'entrée fracassante à l'école que son jeune frère allait connaître,
il l'aurait probablement attendu ce matin-là.
Richard avait
quitté la maison cinq minutes après son frère pour rejoindre deux camarades
habitant rue Notre- Dame et faire le chemin avec eux. Le bulletin roulé dans la
poche arrière de leur pantalon, la cigarette au bec, les trois adolescents
avaient pris la direction de l'école sans trop se presser. Au moment où ils
arrivaient au coin des rues Fullum et Sainte-Cadierine, ils se retrouvèrent derrière
un groupe d'une dizaine de jeunes attendant un 116 LA RENTRÉE DES CLASSES trou
dans la circulation dense de ce mardi matin pour traverser l'artère
commerciale.
Perdu dans le
groupe, Richard aperçut alors son grand frère Jean-Louis, de l'autre côté de la
rue. L'étalagiste faisait les cent pas en attendant le tramway qui allait le
conduire à son travail. Il jeta immédiatement par terre ce qui restait de sa
cigarette, persuadé que Jean-Louis n'aurait aucun scrupule à le dénoncer à leur
mère s'il le voyait en train de fumer.
Les garçons
traversèrent la rue et poursuivirent leur chemin vers l'école sans se presser
et en parlant haut et fort.
— Avez-vous vu la
maudite tapette qui attendait le petit char? demanda un jeune en se déhanchant
et en tortillant les fesses pour faire rire ses copains.
À cet instant,
les élèves longeaient la maison-mère des soeurs de la Providence.
— Où ça? demanda
l'un d'eux.
— T'es aveugle,
toi, se moqua celui qui venait de parler.
Le gars au coin
de la rue avec le coat brun. Il y a juste à le regarder marcher les fesses
serrées pour voir, ajouta-t-il en cassant le poignet, suscitant aussitôt une
tempête de rires.
Richard, qui
marchait quelques pas derrière, n'avait pas entendu ce que le type à la chemise
à carreaux disait, occupé qu'il était à discuter avec l'un de ses compagnons de
route. Son autre camarade, lui, avait bien entendu et lui demanda:
— Dis donc, c'est
pas de ton frère qu'il rit, le grand, en avant?
— Hein? De quoi
tu parles? fit Richard en se tournant vers lui.
— Je viens de te
demander si c'était pas ton frère Jean- Louis que le gars en avant vient de
traiter de tapette? 117
— Qu'est-ce qu'il
a dit? L'autre se fit un plaisir de lui répéter ce que le jeune qui marchait
devant eux venait de dire à ses copains pour les faire rire.
Blanc de rage,
Richard ne se préoccupa pas du fait que l'autre semblait beaucoup plus costaud
que lui. Il s'élança et bouscula les deux jeunes qui marchaient aux côtés du
plaisantin. Il attrapa ce dernier par le col de sa chemise
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