A l'écoute du temps
T'auras juste à les
descendre, ça paraîtra pas.
Ce soir-là, après
le souper, la mère de famille exigea que chacun des trois écoliers se lave à
fond avant de se mettre au lit.
— Et oubliez pas
de vous laver derrière les oreilles, précisa-t-elle.
— Tu vas avoir
toute une job à faire, Les Oreilles, se moqua Jean-Louis en s'adressant à Richard.
Celui-ci, qui
n'acceptait pas qu'on se moque de ses grandes oreilles décollées, voulut
s'élancer contre son grand frère.
— Richard, va te
laver, intervint son père en levant les yeux du journal qu'il était en train de
lire.
no LA RENTRÉE DES
CLASSES
— Vous l'avez
entendu, p'pa. Le grand niaiseux m'a appelé Les Oreilles, dit-il, fou de rage.
— Va te laver,
répéta son père sur un ton plus sévère.
Toi, ajouta-t-il
à l'endroit de l'aîné, laisse ton frère tranquille et arrête de le faire
enrager pour rien.
A neuf heures,
Laurette ordonna aux trois écoliers d'aller se coucher.
— Pourquoi on
peut pas veiller jusqu'à neuf heures et demie comme d'habitude? se rebella
Richard. On s'est couchés à cette heure-là tout l'été et on se levait pareil le
matin.
— Pendant
l'école, c'est neuf heures, pas une minute de plus, trancha sa mère en lui
indiquant sa chambre d'un geste péremptoire. Maintenant, disparais! Vous fermez
la lumière, et pas de jasage. Vous m'entendez? Dormez!
— C'est une vraie
prison, ici dedans, protesta l'adolescent avant de se diriger de mauvaise grâce
vers la chambre où Gilles l'avait déjà précédé.
Richard entra
dans la chambre commune en grommelant.
Il y trouva
Jean-Louis en train de parler à Gilles.
— Vous êtes ben
chanceux de pouvoir encore aller à l'école, dit le jeune homme d'un air
convaincu. Moi, j'ai lâché après ma septième année et j'aurais jamais dû faire
ça. Si mon oncle Rosaire avait pas connu quelqu'un qui travaillait chez Dupuis,
je serais encore en train de nettoyer chez Laurencelle.
C'était la
première fois que Gilles entendait son frère aîné regretter d'avoir abandonné
trop tôt l'école. Il semblait avoir oublié qu'il avait préféré le monde du
travail aux études autant par manque de talent que par soif de gagner de
l'argent. Jean-Louis avait redoublé sa quatrième et sa cinquième et il n'avait
obtenu son certificat de septième année que de justesse. Évidemment, dans ces
conditions, poursuivre en huitième à l'école Jean Baptiste Meilleur de la rue
Fullum était hors de question.
— C'est sûr que
tu pouvais pas continuer à aller à l'école, fit Richard, qui n'avait pas oublié
que son frère l'avait insulté quelques minutes auparavant. T'étais rendu plus
vieux que les professeurs. En plus, tu nous as déjà dit toi-même que t'avais
lâché l'école parce que t'étais écoeuré d'être tout le temps cassé. Ça fait que
viens pas essayer de te plaindre aujourd'hui.
L'aîné fit comme
s'il n'avait pas entendu la remarque.
— En tout cas,
c'est pas toi qui retournes à l'école Champlain demain matin. Moi, ça me tente
pas pantoute d'aller me faire écoeurer là toute l'année.
Jean-Louis se
contenta de hausser les épaules.
— Bon. Sors de
notre chambre et laisse-nous dormir, ordonna-il à son grand frère en se glissant
sous la couverture grise de son lit.
Le lendemain
matin, les trois plus jeunes se levèrent dès six heures et demie, au moment
même où leur père partait pour le travail. Jean-Louis venait à peine de
s'attabler pour déjeuner quand ils envahirent la cuisine, impatients de manger.
— Le gruau a pas
fini de cuire. Allez d'abord vous habiller, leur ordonna leur mère qui
finissait de fumer sa première cigarette de la journée pendant que Jean-Louis
mangeait ses rôties.
En maugréant, ils
retournèrent dans leur chambre pour s'habiller avant de revenir dans la pièce.
Ils étaient si énervés que Laurette dut élever la voix à plusieurs occasions
pour les calmer. Après le repas, elle envoya Gilles et Richard mettre de
l'ordre dans leur chambre et elle entreprit de coiffer Carole.
112 LA RENTRÉE
DES CLASSES
— Arrête de
grouiller comme un ver à chou, lui ordonna sa mère, sinon tu vas faire tes
tresses toute seule.
Tu m'entends?
— Je vais arriver
en retard, se plaignit l'adolescente.
Mireille m'attendra
pas pour aller à l'école.
— Ben non, fit sa
mère. Il est même pas encore
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