A l'écoute du temps
trottoirs et la rue. Toute cette neige
le fit frissonner et il alla se planter devant le poêle, prêt à saisir la
bouilloire dès son premier jet de vapeur.
Quelques instants
plus tard, il s'enferma dans les toilettes pour se raser et se laver. Le bruit
de la porte qui se refermait réveilla Laurette. Elle se souleva sur un coude
pour jeter un coup d'oeil au réveil. Plus de six heures. Elle se leva, endossa
sa robe de chambre, chaussa ses vieilles pantoufles informes et se rendit à son
tour dans la cuisine en traînant les pieds. Son premier mouvement fut de
soulever le rond du poêle pour vérifier si le brûleur n'était pas éteint tant
la pièce lui parut froide. Ensuite, elle s'activa à dresser le couvert et tira
du réfrigérateur les sandwichs préparés la veille pour le dîner de son mari.
Enfin, elle prépara le café et alluma sa première cigarette de la journée en
attendant que Gérard sorte des toilettes.
A ce moment-là,
elle jeta un coup d'oeil distrait à l'extérieur et constata avec un léger
sursaut qu'il avait neigé durant la nuit.
— Pas déjà!
s'exclama-t-elle à mi-voix. Maudit pays de misère! Elle regarda alors
distraitement le grand calendrier distribué par la laiterie Saint-Alexandre
fixé au mur, près du réfrigérateur, comme pour s'assurer qu'on était bien au
mois de novembre et que la neige avait le droit de tomber.
12 novembre!
— C'est pourtant
vrai, on est déjà le 12, se dit-elle, émue. Ça fait vingt ans aujourd'hui.
Elle se rappela
soudain qu'elle avait connu exactement le même temps, vingt ans auparavant, le
jour de ses noces. Toujours debout devant la fenêtre, Laurette continua à fixer
la neige qui couvrait le toit du hangar et les marches de l'escalier qui menait
chez les Gravel. Elle 188 L'ANNIVERSAIRE DE MARIAGE ne put faire autrement que
se remémorer ce matin du 12 novembre 1932. Il avait neigé une bonne partie de
la nuit précédente.
Ce matin-là,
malgré le froid, elle avait quitté à pied l'appartement de la rue Champagne au
bras de son père, suivie par sa mère, ses frères et quelques parents. En cette
période de crise économique, personne n'avait trouvé à redire au fait que l'on
marche jusqu'à l'église pour célébrer le mariage qui allait unir Gérard Morin à
Laurette Brûlé. Après s'être débarrassée de son lourd manteau de drap à son
arrivée, la future épouse avait parcouru l'allée principale, toujours au bras de
son père. Parvenue près de la sainte table, elle s'était assise aux côtés de
son fiancé déjà arrivé.
Une vingtaine
d'invités s'étaient entassés dans les bancs et le vieux curé Parenteau les
avait mariés. Après la cérémonie, il n'y avait pas eu de grande réception. Un
photographe de Photo Modèle de la rue Sainte-Catherine avait pris quelques
clichés de la famille rassemblée sur les marches enneigées de l'église de la
paroisse Saint- Vincent-de-Paul et tous les invités s'étaient rendus à
l'appartement de la rue Champagne où la mère de la mariée avait fait des
prodiges pour préparer un beau repas de noces. Il y avait eu de la musique et
de la danse dans le salon débarrassé de ses quelques meubles et on s'était bien
amusé jusqu'à la fin de l'après-midi. Quand le soir était tombé, Gérard et
Laurette, un peu intimidés, avaient remercié tout le monde avant de quitter la
maison à pied pour aller s'installer dans l'appartement qu'ils occupaient
encore, vingt ans plus tard, au 2318, rue Emmett.
Emu plus qu'elle
n'aurait voulu l'être, Laurette songea à cette promenade au bras de son nouveau
mari, sous la première neige de l'hiver 1932. Gérard n'avait obtenu que trois
jours de congé de la Dominion Rubber pour 189 l'occasion. Évidemment, à cette
époque où l'argent était si rare, il n'avait pas été question de voyage de
noces.
Les nouveaux
mariés étaient entrés chez eux au moment où l'obscurité tombait. Quel beau
souvenir que cette première soirée passée en tête à tête, sans la surveillance
de ses parents...
Gérard sortit des
toilettes à ce moment-là. Il était déjà rasé et coiffé. Il se dirigea vers sa
chambre à coucher pour finir de s'habiller. Quand il revint dans la cuisine,
Jean- Louis et Richard entraient dans la pièce. Richard alla jusqu'à la fenêtre
pour regarder dehors.
— Aie! vous avez
vu? demanda-t-il à la ronde. Il a neigé pendant la nuit.
— Ben oui, fit sa
mère sans aucun
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