A l'écoute du temps

enthousiasme en déposant une pinte de lait sur la table. Tu
sais ce que ça veut dire? Tu vas aller mettre tes combinaisons. On est en
hiver.
     
    — Ah non, m'man!
protesta l'adolescent. On gèle pas encore assez pour se mettre ça sur le dos.
     
    — Tu fais ce que
je te dis, répliqua Laurette sur un ton qui n'acceptait pas la contestation.
     
    — Maudit que
j'haïs mettre ça. Ça nous pique tout le temps et on passe notre temps à perdre
les boutons de la dondeuse en arrière. En plus, on est tout poigné là-dedans.
     
    — Tu seras pas si
poigné que ça. J'ai mis dans ton tiroir les combinaisons que Gilles mettait
l'hiver passé.
     
    — En plus, j'ai
ses vieilles combinaisons. C'est efim, ajouta Richard sur un ton sarcastique.
     
    — Elles sont
encore bonnes et elles lui font plus. On n'est pas encore assez riches pour
jeter du linge qui peut servir, Richard Morin.
     
    — Et lui, je
suppose qu'il va avoir des combinaisons neuves? 190 L'ANNIVERSAIRE DE MARIAGE
     
    — Pantoute. Il va
avoir les anciennes combinaisons de Jean-Louis. Puis arrête de discuter pour
rien. J'haïs ça le matin! Va les mettre tout de suite pendant que je finis de
mettre la table.
     
    L'adolescent
sortit de la cuisine en rechignant au moment où son père s'attablait. Quelques
instants plus tard, il revint dans la pièce en tirant sur le haut de son
sous-vêtement comme si le tissu le démangeait.
     
    — J'aimerais ben
connaître le nom du tata qui a inventé ça, dit-il en s'assoyant à table.
     
    — Arrête de
grimacer et de te plaindre pour rien, l'avertit sa mère. Je te garantis que tu
vas les avoir sur le dos jusqu'au mois d'avril au moins et...
     
    — Sais-tu où sont
passées mes bottes? l'interrompit son mari.
     
    — Dans une boîte,
dans la cave, répondit Laurette en déposant le pot de beurre d'arachide au
milieu de la table.
     
    — On va être
chanceux si les rats les ont pas à moitié mangées, fit remarquer Jean-Louis,
occupé à se verser une tasse de café. C'est vrai qu'avec les bas de Richard qui
traînent en haut de l'escalier, ça a dû les tenir pas mal éloignés.
     
    — Maudit grand
niaiseux! fit son frère en lui adressant une grimace.
     
    — Pourquoi t'es
debout aussi de bonne heure, toi? lui demanda son père, agacé d'avoir à le
supporter aussi tôt le matin.
     
    — Ben, p'pa, vous
avez oublié que c'est à matin que je commence à servir la messe.
     
    — À quelle heure?
     
    — La messe de
huit heures.
     
     
     
    — Tu vas arriver
en retard à l'école avec cette affaire-là, lui fit remarquer son père.
     
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    — Juste un peu,
p'pa, se défendit Richard. Mais l'abbé Laverdière va me donner un billet
d'excuse. Le principal dit rien quand on est en retard pour avoir servi la
messe.
     
    — Je vais aller
te voir servir ta première messe, lui annonça sa mère. Aujourd'hui, c'est une
journée spéciale, ajouta-t-elle, espérant ainsi faire penser à son mari à leur
anniversaire de mariage qu'ils se devaient de célébrer.
     
    Il n'y eut aucune
réaction chez Gérard qui retira du grille-pain les deux tranches de pain pour
les faire rôtir de l'autre côté.
     
    — Après le
déjeuner, t'iras chercher cette boîte-là, ordonna-t-il à Richard. Pendant ce
temps-là, j'irai dans le hangar remplir la cruche d'huile pour le poêle. Après,
tu monteras une chaudière de charbon pour la fournaise. Si on veut que le poêle
et la fournaise chauffent, il va falloir reprendre l'habitude de voir à ce
qu'il y en ait tout le temps dans la maison, ajouta-t-il.
     
    — Laisse faire
pour l'huile, intervint Laurette. Gilles s'en occupera avant de partir pour
l'école. Il en reste au moins pour deux heures dans la cruche.
     
    Elle faisait
allusion à une cruche de vitre transparente d'une contenance de trois gallons
installée sur le côté droit du poêle qui servait de réservoir pour l'alimenter.
     
    Le silence
retomba sur la pièce. A la fin du repas, le père de famille alluma sa première
cigarette de la journée pendant que Jean-Louis s'esquivait pour aller faire sa
toilette. Richard se chaussa et descendit précautionneusement le vieil escalier
vermoulu de la cave au sol en terre battue. Dès qu'il avait ouvert la porte,
une forte odeur d'humidité mêlée à d'autres senteurs d'origine suspecte avait
envahi la cuisine. Comme d'habitude, l'adolescent fit beaucoup de bruit en
descendant dans l'espoir de chasser les rats les plus braves qu'il savait
présents dans