A l'écoute du temps
femme de Rosaire Nadeau avait toujours eu
du mal à se faire à ce qu'elle désignait comme le «manque de classe» de la
femme de son frère. Laurette avait toujours soupçonné les deux femmes de
travailler en secret à l'abaisser dans l'estime de Gérard.
En fait, il
fallait comprendre que l'une avait quarante ans, était mère de cinq enfants et
pourvue d'un mari sans grande ambition. L'autre, âgée de trente-cinq ans, avait
épousé Rosaire Nadeau, un vendeur d'autos ambitieux, et elle n'avait pas
d'enfant. Les Nadeau pouvaient être considérés comme des gens aisés dont les
fins de mois n'avaient rien de commun avec celles que connaissaient les Morin.
Le couple habitait un appartement dans une maison presque neuve du boulevard
Saint-Joseph avec Lucille Morin, la mère de Gérard et de Colombe.
Le lendemain
soir, Gérard rentra à la maison un peu plus tard que d'habitude. Il passa par
la cour arrière et déposa sur le balcon un sapin un peu rabougri. A la fin de
sa journée de travail, il s'était arrêté coin Frontenac et Sainte-Catherine
pour l'acheter à un cultivateur qui s'installait là chaque année au mois de
décembre. Gilles et Richard, alertés par le bruit des pas sur le balcon,
écartèrent les rideaux de la fenêtre de la cuisine.
— Il est pas mal
beau, l'arbre, p'pa, dit Richard à son père qui venait d'entrer dans la pièce
en secouant bruyamment ses pieds sur le paillasson.
217
— On va
l'installer après le souper, annonça ce dernier avec bonne humeur en enlevant
son manteau.
— J'espère que tu
vas le secouer comme il faut avant de l'entrer, intervint Laurette, occupée à
dresser le couvert avec l'aide de Carole. J'ai lavé mes planchers aujourd'hui.
— On va faire
attention. Énerve-toi pas avec ça, la rassura son mari.
Après le repas,
les parents se retrouvèrent seuls avec leurs deux plus jeunes enfants. Denise,
Jean-Louis et Gilles ne rentreraient de leur travail que vers neuf heures.
— On va leur
faire toute une surprise, dit Gérard, enthousiaste. On va tout décorer l'arbre
et l'allumer.
Pendant que je
l'entre, Richard, va chercher la boîte de décorations dans la cave. Fais
attention de pas casser les boules.
L'adolescent
descendit avec précaution dans la cave, toujours aussi attentif aux rats dont
il sentait la présence dans les coins plongés dans l'obscurité. Il trouva la
boîte de vieilles décorations de Noël et s'empressa de remonter au
rez-de-chaussée. On cala le pied du sapin dans un vieux seau avec des briques
trouvées dans le hangar. On perdit ensuite plusieurs minutes à démêler et à
vérifier les lumières multicolores avant de les installer.
On dépoussiéra
aussi deux douzaines de boules de Noël avant de les suspendre aux branches. On
termina le travail en disposant des «cheveux d'ange» et des «glaçons» argentés
un peu partout dans l'arbre. Même si elle s'était promis de ne pas s'en mêler,
Laurette n'avait pu faire autrement que d'aider à la décoration de l'arbre.
— Il manque
l'étoile qu'on mettait en haut de l'arbre, fît remarquer Richard.
— Oui, confirma
sa mère. Il manque aussi la petite crèche en carton qu'on mettait toujours au
pied de l'arbre.
218 UNE MAUVAISE
NOUVELLE
— On n'a pas jeté
ça, assura Gérard. Richard, retourne donc voir dans la cave s'il y aurait pas
une autre boîte avec des affaires de Noël dedans.
L'adolescent
descendit dans la cave et en revint, moins d'une minute plus tard, avec une
boîte qui sentait fortement l'humidité.
— Il y a l'étoile
dedans, annonça-t-il en déposant son fardeau sur la table. Mais je pense que la
crèche est finie.
Le carton a l'air
tout pourri.
Son père se
pencha sur la boîte d'où il retira une grosse étoile blanche en plastique qu'il
lui tendit. Il sortit ensuite un carton informe couvert de nombreux cernes
laissés par l'humidité. Il était gondolé et informe.
— Bon. C'est
correct. On va se passer de crèche cette année, déclara-t-il aux siens.
Quand le père de
famille alluma l'arbre avant d'éteindre le plafonnier de la cuisine, chacun
reconnut que sa présence conférait à la maison un petit air de fête très
agréable.
— A cette heure,
il reste juste à pas le sacrer à terre en l'accrochant, dit Laurette. Puis,
regardez mon plancher de cuisine. A cette heure, il est tout sale. Je vous
l'avais dit aussi.
— Cybole que
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